QUELS CONCERTS ONT MARQUE L’HISTOIRE DES CHARRUES ? PROGRAMMATEURS, ARTISTES ET FESTIVALIERS NOUS RACONTENT LEURS MEILLEURS SOUVENIRS.

S’il ne fallait retenir qu’une édition des Vieilles Charrues, ce serait 2001. Avis partagé par tous ceux qui l’ont vécue, organisateurs, artistes et public. Tous reconnaissent que ces trois jours qui marquèrent les dix ans du festival restent, jusqu’à présent, inégalés. Yann Rivoal, le directeur de l’événement à l’époque, se souvient d’un « super boulot de toute l’équipe, avec une ambiance incroyable et le début d’une reconnaissance nationale ».

Pour son compère de la programmation, Jean-Jacques Toux, c’était carrément « l’apogée, l’année de référence, avec des concerts mémorables et une foule monstre ». Confirmation de Yves Colin, responsable communication jusqu’en 2010 : « Pour la première fois, on avait fait sold out un mois avant, avec une jauge au maximum, qu’on a même décidé de réduire par la suite. Il y avait comme de la magie dans l’air, tout le monde avait la banane. »

Cantat et buvette

Le moment phare reste le concert de Noir Désir le samedi soir. « J’étais fan absolu, précise Jean-Jacques, alors quand j’ai appris que le groupe cherchait des dates pour se roder avant la sortie de son album Des visages des figures, on s’est tout de suite positionné pour l’avoir. Et on l’a eu. »

Il faut se rappeler de ce que représente Noir Désir à l’époque : LA référence en matière de rock hexagonal, une formation au sommet de son art, maîtrisant aussi bien des morceaux furieux tels Les Ecorchés que des ballades façon Le Vent nous portera, que le public découvrira ce soir-là en avant-première. Quand le concert démarre, la nuit vient de tomber et la foule qui se presse est impressionnante.

« Il y avait plus de 60 000 personnes devant, se remémore Jean-Jacques, c’était chaud mais supportable. » Yann Rivoal avait tout de même la boule au ventre : « Je surveillais les mouvements de foule. Honnêtement j’ai eu un peu peur, c’était limite. »

Sur scène, les quatre Bordelais assurent. « On était super content de jouer en Bretagne, qui nous a toujours très bien accueillis, mais on avait à gérer une très grosse attente, se souvient Denis Barthe, le batteur. Je peux te dire que quand tu as des dizaines de milliers de personnes sous le pied de ta grosse caisse, c’est un peu comme conduire une voiture de sport. Un truc monstrueux ! »

Thomas, un festivalier présent dans la fosse, parle d’une « foule monumentale, avec le pogo le plus fou jamais vu ». « Au début de Tostaky, mes pieds ont quitté le sol pour le retrouver cent mètres en arrière. C’était dingue ! », témoigne Géraldine, elle aussi noyée dans une masse d’où s’échappent d’impressionnants panaches de transpiration.

Intelligemment, le groupe alterne rock speedé et morceaux calmes. Il n’en oublie pas non plus de s’éclater, avec notamment ce magique L’Iditenté interprété en duo avec les Têtes Raides. Denis Barthe ne s’en est toujours pas remis : « C’était grisant, avec un public mortel. Un souvenir impérissable. » Le moment de grâce sera prolongé jusque tard dans la nuit au bar des artistes, où Yves Colin se souvient de Cantat interprétant Brassens et d’une buvette qui ne désemplissait pas. À peine le temps de décuiter que le lendemain dimanche, nouveau moment mémorable avec Matmatah.

« Le pétard pour L’Apologie ! »

Le chanteur Tristan Nihouarn se rappelle pourtant que ça avait mal commencé. « On faisait un peu la gueule d’être programmé l’après-midi, alors qu’on avait prévu un show lumière. Puis finalement on n’a pas eu à le regretter, c’était le pied. » Sous le cagnard de Carhaix, c’est une foule quasi comparable à celle de la veille qui se masse pour écouter les tubes des papes du rock celtique.

Onze ans après, Kelig, qui portait le bracelet des trois jours au poignet, en garde un souvenir ému : « On avait préparé le pétard pour L’Apologie ! » Les bouteilles, quant à elles, ressortiront le soir, à l’issue du concert donné par Manu Chao. Julien Banes, le manager de Matmatah, a en mémoire la fête de clôture : « Radio Bemba avait sorti la réserve de rhum backstage, quelle soirée ça avait été… »

Autre édition inoubliable, celle de 2007, avec la prestation d’Arcade Fire. Si on ne devait garder qu’un concert à Carhaix, c’est d’ailleurs celui que choisirait Yann Rivoal. « Niveau intensité, c’est incomparable. J’ai aussi vu le groupe cette année-là à l’Olympia et aux Eurockéennes, mais c’est aux Charrues qu’il a été le meilleur. »

Pour Géraldine la festivalière, cette grosse heure de musique, « c’était comme être sur le nuage de la pub Kinder Chocolat ». Les intempéries avaient pourtant fait flipper les organisateurs. Jean-Jacques : « J’étais fier de voir que malgré la météo, le public était embarqué par ces Québécois qui n’ont pas un registre si facile. »

Dernier instant choisi à retenir : le concert d’adieu de Matmatah en 2008. « Un souvenir spécial » pour le chanteur Tristan, qui garde en tête les gestes d’affection de l’équipe du festival et du public : « Le groupe a longtemps connu un succès parallèle à celui des Vieilles Charrues, c’était beau de finir à Carhaix. Ce set de fin était très spécial pour nous, forcément, on avait la pression mais ça s’est bien passé. J’ai en mémoire la haie d’honneur en sortie de scène que nous avaient fait les bénévoles jusque nos loges. Pff, que c’était bon ! »

Régis Delanoë
Photo : Pierre Iglesias.
Article paru dans Bikini#7, spécial festivals.