Elles sont moches, kitsch et de mauvais goût. Cet été pourtant, vous n’allez pas leur échapper… Enquête sur ces images cartonnées faites de petits chats, de fesses à l’air et de blagues de cul.

Mise en situation : vous êtes en vacances, sans stress, sans radio-réveil, sans autre préoccupation que de choisir entre le bermuda uni ou le bermuda à fleurs pour aller passer la journée à la plage. En clair, vous glandez. Quand soudain, il vous vient à l’esprit que, quand même, ce serait sympa d’envoyer de vos nouvelles aux parents. Aux grands- parents aussi tant qu’on y est. Et puis tiens, pourquoi ne pas aussi penser aux copains et aux collègues restés au boulot ?

À l’époque des smartphones et d’Internet, il est étonnant de constater que la carte postale n’est finalement pas tombée en désuétude. Chaque année en France, il s’en écoule près de 400 millions. C’est à peine moins qu’il y a dix ans. D’après les études réalisées par le principal syndicat des cartophiles, l’UPCP, chaque Français en achète en moyenne six à sept au cours de ses vacances.

« C’est un phénomène historiquement moins important que chez nos voisins anglais ou allemands, qui peuvent facilement en envoyer une trentaine, mais ça reste une tradition bien ancrée », constate son président, Bernard Bouvet.

Pour le géographe Gilles Fumey, la clé du succès de la carte postale, c’est « la simplicité du geste » qu’elle induit et son coût dérisoire : 40 centimes la carte de base. À ce prix, plus celui d’un timbre, vous signifiez au destinataire qu’au moins l’espace de quelques minutes pendant que vous étiez à faignanter, vous avez pensé à lui.

C’est flatteur et symboliquement plus fort que d’envoyer un simple SMS, même en n’ayant pas à écrire grand-chose de plus que quelques banalités au dos de la carte. « Un petit bonjour de Carnac pour vous dire qu’il fait beau et qu’on passe de chouettes moments », bla, bla, bla. Évidemment qu’on ne va pas dire que le temps est dégueulasse et qu’on s’emmerde à bloc : le texte est généralement stéréotypé, comme la photo qui l’accompagne.

Comme le disait l’écrivain humoriste Pierre Daninos, « la carte postale est la représentation idéale des lieux, destinée à impressionner le destinataire en faisant mentir l’expéditeur ». L’éditeur breton Bertrand Stoll, de la maison d’Art Jack, reconnaît que les paysages sont « retravaillés par les graphistes, pour apporter plus de lumière au cliché et gommer les imperfections ».

C’est la fameuse image d’épinal, où tous les clichés d’une région visitée doivent apparaître sur quelques centimètres carrés de carton : les champs de lavande en Provence, les maisons à colombages d’Alsace, les volets bleus en Bretagne… « Mais le top de nos ventes, ce sont les vues composées », constate Bertrand Stoll. La mosaïque de petites photos permet de faire encore plus exhaustif.

Et pourquoi pas commencer à y ajouter un peu de fantaisie. « Les petits chats, ça fonctionne très bien, reconnaît Patrick Le Goubey, des éditions du même nom. On est là dans la correspondance entre grands-parents et petits-enfants. »

Car évidemment, on n’envoie pas la même carte postale selon qu’on s’adresse à mamie ou à un copain. « Plus l’intimité est importante, plus il est facile de prendre du recul par rapport à l’image, analyse le sociologue Nicolas Hossard. Envoyer une carte coquine à une vieille tante par exemple, c’est non. »

Entre amis en revanche, ça fonctionne, surtout chez les ados ou les jeunes adultes. « Le second degré kitsch permet de garder la face à un âge où il importe plus de paraître drôle que mièvre. » Le kitsch, vous l’aurez compris, c’est la carte grivoise, plus ou moins érotique (plutôt plus que moins) et plus ou moins réussie graphiquement (plutôt moins que plus). Des réalisations communément appelées « les cartes postales de la honte ».

Les messages y sont souvent graveleux, du genre « chaud le barbecue, sortez vos merguez », ou « quand y a de la moule, on a la frite », avec des photos de meufs topless et de mecs au regard lubrique. « Le premier intérêt de cette carte, c’est que ça dispense d’avoir à écrire un texte long, le thème de la photo ou du dessin faisant office de message », estime Gilles Fumey.

Mais de même qu’une bonne punchline se démode très vite, la carte “fantaisie” comme on l’appelle dans le milieu ne vieillit pas très bien. « Il faut renouveler le stock tous les deux ou trois ans, alors que la carte paysage a un côté plus intemporel », fait remarquer le boss d’Art Jack, pour qui « la Bretagne est relativement épargnée (sic) par ce type de cartes de mauvais goût, ça fonctionne plus sur la côte d’Azur ».

Jos, une maison d’édition concurrente dans la région, a carrément décidé d’en arrêter l’impression depuis une vingtaine d’années. « Le sexy c’est pas trop notre truc, ça peut nuire à l’image de prestige qu’on souhaite se donner », justifie son responsable Stéphane Montiel. De son côté, la maison Le Goubey s’est au contraire infiltrée dans cette niche de l’humoristique et l’assume à fond. Et pour cause : ça représente 20 % de son chiffre d’affaires en cartophilie.

« La carte grivoise, c’est la carte du mois d’août pour une clientèle disons… de camping » présente Patrick Le Goubey pour qui des tétons qui pointent et un message bien bourrin, y a pas mieux. C’est aussi typique de l’échange de nouvelles entre collègues de travail, « le genre à finir épinglée au-dessus de la photocopieuse ou à côté de la machine à café », d’après Gilles Fumey. Rien de tel pour égayer une journée de travail en plein été que de recevoir une carte bien grasse avec une blonde en string (« Ah, ah, ce bon vieux Michel ! »).

Un jour de semaine lors des vacances de Pâques à Perros-Guirec, on est les seuls acheteurs au magasin de souvenirs Ty Boutik. Le gérant nous signale que sur les « 10 000 cartes écoulées chaque été », il vend surtout du paysage. « De la cochonne ? J’en refourgue 500, max. » À Ploumanac’h pareil, le succès reste relatif. Interrogée, la patronne d’une carterie indique que les clichés qu’on vient de lui acheter sont « surtout là pour faire marrer les copains. Ou pour le pervers, enfin je dis pas ça pour vous », avant de nous tendre le sachet. En fait, la honte des cartes postales de la honte, c’est surtout pour celui qui les achète.

Régis Delanoë
Photos : Bikini

Article paru dans BIKINI#12