Maelle-1Installée à Galway, la Rennaise Maëlle Noir sort d’une année de militantisme qui s’est conclue, fin mai, par le référendum sur l’avortement en Irlande. Un vote qui lui rappelle que rien n’est jamais acquis pour le droit des femmes.

C’est un vote historique que vient de connaître la République d’Irlande. Le 25 mai, un référendum a appelé femmes et hommes du pays à statuer sur le 8e amendement de la Constitution, qui reconnaît « le droit égal à la vie de la mère et de l’enfant à naître », interdisant de facto toute interruption volontaire de grossesse (IVG), sauf en cas de danger mortel pour la femme enceinte.

66,4 % de « yes » en faveur de la légalisation de l’avortement : un résultat sans appel, porté par un taux de participation élevé, qui confirme l’affaiblissement inexorable de l’Église catholique sur l’île.

Cette campagne du référendum, la Rennaise Maëlle Noir l’a vécue en plein cœur. Étudiante en droit à Galway, où elle compte s’installer définitivement à l’issue de son année universitaire, cette jeune femme de 21 ans fait partie des rares Françaises à avoir milité activement au sein du mouvement “Repeal the 8th” (abroger le 8e). Un combat qu’elle n’aurait jamais pensé avoir à mener.

UN MOT TABOU

« Quand je suis arrivée à Galway il y a un an, je n’étais pas au courant de ce projet de référendum. Mais j’ai vite été mise dans le bain. Au début, je me disais que c’était impossible qu’il y ait encore un pays dans l’Union européenne – autre que Malte – qui interdise l’avortement. Ça reste un mot tabou ici. Ce n’est pas un sujet dont il est facile de parler. La religion fait partie de l’éducation et de la culture des Irlandais. Ça m’interpelait au début, mais c’est un combat dans lequel j’ai tout de suite eu envie de me lancer. »

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DSC_0019 - copie 2Dublin, le 24 mai 2018

PAS UNE HISTOIRE DE GÉNÉRATIONS

« Je milite au sein du groupe Galway Pro-Choice dans lequel je me suis pleinement investie. Sur la trentaine de membres actifs, nous sommes deux Françaises. Durant toute la campagne, notre mission était avant tout d’informer la population. Cela passait par beaucoup de porte-à-porte. Tous les jours, nous étions sur le terrain à quadriller chaque rue pour expliquer les enjeux du vote aux habitants. J’ai pu me rendre compte que ce n’était pas qu’une histoire de générations comme on nous l’explique souvent. Il n’y a pas d’un côté les jeunes qui sont pour et, de l’autre, les anciens qui sont contre. C’est beaucoup plus nuancé. À l’université par exemple, j’ai pu échanger avec beaucoup d’étudiants qui trouvent l’avortement inconcevable. Les échanges que j’ai pu avoir avec eux m’ont le plus marquée. Venant d’un pays où cela est autorisé, j’avais l’impression d’essayer de les convaincre que le ciel est bleu. Malgré tout, je trouve que la société irlandaise s’ouvre dans son ensemble. En 2015, le mariage pour tous est passé comme une lettre à la poste, par référendum en plus (62% de oui, ndlr). Leo Varadkar, le Premier ministre, est gay et l’assume pleinement. On peut y voir un progrès dans les mentalités. »

MON REGARD DE FRANÇAISE

« Dans mon parcours militant, c’est la première fois que je fais vraiment partie d’une association. Débuter par une campagne comme celle-ci n’est pas anodin. C’est triste de devoir militer pour le droit à l’avortement en 2018. D’où ma forte émotion le soir du référendum lorsque les premiers sondages et résultats, annonçant une victoire du oui, ont commencé à sortir. En tant que Française, je ne me serais jamais imaginé lutter un jour pour cela. Dernièrement, je me suis rendue compte que quand l’IVG a été autorisée en France ma grand-mère avait le même âge que moi aujourd’hui. Cela m’a fait prendre conscience de l’urgence de la situation en Irlande. On estime que chaque jour en moyenne onze femmes se rendent en Angleterre pour pouvoir avorter. Et pour celles qui n’en ont pas les moyens, cela passe par des pilules douteuses achetées sur Internet ou le recours à des techniques ancestrales barbares. En plus de cette injustice faite aux femmes, une seconde injustice par l’argent s’opère. Tout le monde doit avoir un accès libre et sécurisé à l’avortement. Ce que va permettre ce référendum. Un résultat historique qui va bouleverser la vie et le quotidien de mes amies irlandaises. »

DSC_0042 - copieDublin, le 25 mai 2018

UN DROIT À DÉFENDRE

« Le droit à l’IVG, il faut le défendre partout : en Irlande, en Europe, dans le monde. Et aussi en France où, il faut le rappeler, il n’est pas inscrit dans la Constitution. Il serait facile de modifier la loi pour le limiter, comme certains pays ou états américains le font actuellement. On l’a vu en avril dernier lors de discussions au Sénat (suite à la proposition d’élus communistes visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française, ndlr) où des discours qu’on pensait obsolètes ont rejailli. C’est tout le temps qu’il faut rester vigilant. »

ÉGALITÉ PARFAITE

« Ma définition du féminisme, ce n’est pas girl power. C’est juste une égalité parfaite entre les hommes et les femmes sur tous les plans : professionnel, social, culturel… Ce référendum a été un grand combat, la campagne a été exténuante, mais la lutte vers plus de droits et de progrès n’est pas finie. Toutes les causes sont importantes. Mon année de militantisme m’a confortée dans cette idée du féminisme. Je vais continuer dans cette voie avec mes études de droit avant, un jour j’espère, travailler pour une ONG spécialisée dans les droits des femmes. »

 Julien Marchand
Photos : Kelvin Gillmor (à Galway) et Bikini (à Dublin)
Article (ici actualisé) paru dans BIKINI#37