LIEUX DE RENCONTRE INCONTOURNABLES DE LA JEUNESSE, LES DISCOTHÈQUES SONT ACTUELLEMENT EN CRISE. ENQUÊTE SUR LES RAISONS D’UN INÉLUCTABLE DÉCLIN.

« Faut que j’serre putain, faut que j’serre !! » Tel un boxeur jouant l’autoconviction au coin du ring, le gars tire furieusement sur sa clope en se répétant l’objectif de la soirée : lever une meuf. Pas question pour lui d’être dans le camp des vaincus. Il n’est même pas 2h, mais on sent déjà la peur de l’échec. L’apprenti champion est pourtant venu avec l’équipement qui va bien : chaussures à bout pointu, jean noir, t-shirt moulant, chaînette en argent (à l’extérieur du t-shirt, très important), cheveux fixation béton. Problème : son taux d’alcoolémie.

C’est du moins l’avis de Nadya (« avec seulement le Y, pas comme la chanteuse »). Rencontrée quelques minutes après que notre gars soit retourné sur le ring – ou plutôt le dancefloor – elle prévient : « Les mecs bourrés sont relous. Le rentre-dedans ça me bloque. » Effectivement, sur la piste clairsemée, ça drague façon bourrin. La technique la plus courante : commencer par danser avec ses potes, fureter une proie du regard, s’en approcher par derrière en loucedé et prendre son rythme pour se coller à elle.

« Depuis quelques temps, c’est la merde… LA MERDE »

La réussite est rarement au rendez-vous mais parfois, sur un malentendu, ça fonctionne. C’est le cas de ce néo-couple sur le podium, qui se roule une pelle façon préliminaires de film porno. Loin des winners, dans le fond de la salle, on retrouve les vaincus de la soirée affalés sur les divans. Notamment ce petit bonhomme qui somnole, son verre de vodka-orange posé en face de lui à peine entamé. « Il a trop tisé », se marrent ses potes assis à côté, lesquels continuent à lever du coude. « On se met bien, tranquille, chef. »

La scène se passe un vendredi soir de fin d’automne à La Crinière, discothèque de bonne réputation basée à une quinzaine de minutes de Saint-Brieuc. Mais elle aurait pu se dérouler dans n’importe lequel de ces établissements de nuit qu’on retrouve un peu partout, aussi bien en ville qu’à la cambrousse. « Pendant longtemps, la boîte était le rendez-vous incontournable de fin de semaine des étudiants et jeunes actifs du coin, mais c’est moins le cas aujourd’hui », s’inquiète Nicolas Guihot, le gérant.

D’une capacité totale de 1 400 personnes, la “Crine-touf” de son surnom n’est plein que d’un tiers ce soir où est pourtant invité en showcase le tube-man Moussier Tombola (lire encadré). « La deuxième salle de la boîte est fermée depuis plusieurs mois, faute de monde. C’est simple, 2011 est notre pire année en 34 ans d’existence. Depuis 10 ans, c’est en baisse constante. »

Il n’est pas le seul à constater les dégâts. Pour Patrick Labataille, responsable du 29 au Faou, une des plus grosses boîtes du Finistère, « depuis quelques temps c’est la merde… LA MERDE ». Michel Ludwig du Tremplin, à Montauban (35), parle plus sobrement d’une « perte de clientèle significative et régulière », tandis que Dominique Corbion du Kub, près de Vannes (ex-Black Minou) note qu’il est « de plus en plus difficile de faire venir du monde ».

Et de regretter, comme tous ses confrères, « l’âge d’or des boîtes, dans les années 90 ». Les temps sont durs pour ces usines à dance-music, qui se prennent en pleine face le contexte de crise actuelle. « On est dans une période du tout-gratuit, alors faire payer 10 euros l’entrée c’est compliqué », estime Dominique Corbion. « Pourtant, relève Patrick Labataille, c’était déjà les tarifs en vigueur il y a 20 ans. Contrairement aux bars, on n’a pas suivi l’inflation. »

« Les portables, Facebook et toutes ces conneries »

Michel Ludwig remarque de son côté que « le panier moyen de dépense a légèrement augmenté, mais le problème c’est la perte d’une partie de la clientèle ». Notamment les revenus modestes qui ne peuvent se permettre de claquer, en une soirée, un dixième de leur salaire pour une entrée et quelques consos. La concurrence est également pointée du doigt. Nicolas Guihaut parle d’une « grosse culture de concerts et de festivals en Bretagne » qui peut faire de l’ombre aux discothèques. Mais le plus grand danger vient des bars de nuit aux consommations souvent moins chères et à l’entrée gratuite.

« On ne peut s’en prendre qu’à nous- mêmes, juge Dominique Corbion. Ils se sont engouffrés sur l’après 22h, un créneau stratégique qu’on n’a pas su gérer. Et avec la législation leur permettant désormais d’ouvrir jusque 2h voire 3h, on récupère le gros des gens de plus en plus tard. » « Et à cette heure avancée, poursuit Nicolas Guihaut, ne viennent en boîte que ceux qui se sont déjà bien “avoinés” dans les bars ou chez eux. » Les discothèques seraient donc victimes d’arriver en dernière position dans l’ordre chronologique d’une soirée.

« On est le maillon qui hérite de tous les problèmes », déplore d’ailleurs Patrick Labataille, qui va même jusqu’à comparer son établissement à « une garderie » certains soirs. « Pourtant, s’insurge Michel Ludwig, on a été les premiers à prendre les problèmes d’alcool à bras le corps. La notion de capitaine de soirée est désormais bien assimilée, on surveille les abords, on collabore avec les flics, on met en place des navettes, mais on continue de traîner une mauvaise réputation. Alors qu’on a le mérite d’encadrer les jeunes, qui sont mieux chez nous qu’à picoler sur les parkings. »

Les différents gérants contactés parlent d’ailleurs d’une forte responsabilité sociale qui leur incombe. Patrick Labataille : « On est un des derniers vrais lieux de convivialité. Les portables, Facebook et toutes ces conneries je veux bien, mais à un moment il faut se rencontrer, c’est ça notre rôle et on ne le dit pas assez. » Son confrère du Kub, Dominique Corbion, joue les philosophes : « On pourra toujours essayer d’améliorer nos conditions d’accueil ou la musique, mais ce dont je suis sûr, c’est que les jeunes d’aujourd’hui ne s’amusent plus autant qu’à une époque. Beaucoup ont peur de l’avenir, sûrement à raison d’ailleurs. » L’insouciance a disparu, « ce qui les rend plus agressifs », encore plus que le trop plein d’alcool. C’est peut-être ça le problème de notre dragueur-boxeur avec Nadya.

Régis Delanoë
photo : Bikini

 

SAMEDI SOIR EN PROVINCE :
ÇA PICOLAIT DÉJÀ SUR LES PARKINGS

C’était il y a une quinzaine d’années dans la campagne de Châteauroux. Mathieu, DJ du Top Club, « installait la barrière anti-fans, sinon c’est l’invasion derrière les platines ». Stéphane, dit Gazoil, était plus amoureux de sa R5 que de sa louloutte. Et sur le parking du Vibrations, la grosse discothèque du coin, ça picolait « pas histoire de s’péter la ruche mais histoire de draguer les femmes ».

C’était l’époque des compil Dance Machine, l’âge d’or pour tous ceux qui aimaient gueuler « Ce soiiiiir on vous metttt, ce soir on vous met le FEUUUU ! ». Une période révolue du dancefloor filmée pendant plus d’un an par Jean-Michel Destang pour Samedi soir en Province, un documentaire diffusé en 1996 sur France 2 et qui connaît une deuxième vie sur le Net. « C’est un film qui fait causer car il parlait d’aujourd’hui bien avant l’heure, explique son réalisateur. Dans les jeunes d’il y a quinze ans, on voit ceux d’aujourd’hui : les bitures, les relations filles/garçons, le chômage… »

Que sont-ils devenus ? « Je sais que Gazoil est camionneur, ce qu’il voulait, et que le DJ du Vibrations fait aujourd’hui des spectacles comiques. Il a même inscrit sur son CV qu’il était dans le reportage ! Le DJ du Top Club ? Je ne sais pas, il était un peu bizarre lui. » J.M