Art Rock – « À l’heure du goûter »

Boogers

« C’est la première fois qu’on joue à l’heure du goûter », annonce Boogers en préambule de son concert d’hier au Forum de La Passerelle, avant d’ajouter, avec ce petit air un brin foutage de gueule qu’il réussit si bien, « c’est la première fois qu’on joue tout court, d’ailleurs ». Il a raison, en fait. Car l’homme-orchestre est accompagné cette fois d’un groupe, un vrai : guitare, basse, batterie, machines, la totale quoi. Une formule qu’il a décidé d’appliquer désormais sur scène, y compris celle qu’il fera aux Charrues, le dimanche.

Les festivaliers carhaisiens auront ainsi l’occasion de découvrir un set étonnamment mature (le groupe n’aurait pourtant que quelques répèt’ derrière lui) avec, au centre, tout de même, l’inévitable Boogers qui capte toute la lumière. Qu’il s’agisse de jouer son tube I lost my lung ou de reprendre le Creep de Radiohead avec un mini-piano pourri à deux notes (« les autres sont collées au vin blanc »), le garçon assure. Le public est parfois désarçonné par cette façon de passer du coq à l’âne, mais l’entrée en matière est plutôt sympathique. Le Tourangeau conclut par un, « on est content d’être à Saint-Brieuc, on va pouvoir voir les Hives ».

Les Hives justement, on les retrouve peu de temps après en conférence de presse et on sent tout de suite les gars bien rodés, bien pros. L’attachée de presse nous laisse prendre des photos mais comme on n’a pas réservé, on nous refuse poliment d’approcher de trop près pour entendre ce qui se dit. On sort donc de la Chapelle (l’espace presse) pour filer au Disquaire où The Bird is Yellow tenait un show-case. Y’a du peuple à l’intérieur. « Ah, le groupe vient juste de poser sa dernière note. Pour une fois que ça commence à l’heure ici…», nous avertit Gilles, l’un des tauliers, à peine l’entrée franchie. Pas grave, il est déjà l’heure de se diriger vers le site principal de Poulain Corbion, Hindi Zahra a déjà commencé. Entre temps, on a croisé Boogers avec un K-way bleu. C’est qu’il flotte à Saint-Brieuc. Les kebabs se mangent des gouttes, les buvettes font office de parapluie. Un bon refuge où les pintes ne sont pas trop reuch : 4,8 la blonde et 5,2 la rousse.

The Hives, à la Chapelle

À Poulain Corbion, la jolie chanteuse franco-berbère est même pas loin de terminer son set. La pauvre a beau revendre du sourire et jouer de sa voix suave, avec la pluie qui tombe et le thermomètre qui dégringole, l’entrée en matière est difficile. Rayon sourire, elle se voit même vite battue avec l’arrivée sur scène du Staff Benda Bilili. Pour ceux du fond qui n’ont pas suivi, on va la faire courte : les Congolais, presque tous handicapés et souffrant de polio, ont été rendus célèbres par un documentaire consacré à leur vie hors du commun, des rues pauvres de Kinshasa aux plus grandes scènes internationales.

Les gaziers débarquent, en fauteuil pour les uns, en béquilles pour l’autre, et c’est tout de suite la banane. Leur groove un peu chelou décolle vraiment au bout de 40 minutes et dès lors, ça golri dans le public – très jeune. Au premier rang, y’a pas mal de kids. Tout comme dans les rues.

Staff Benda Bilili

21h30, la nuit n’est pas encore tombée, mais l’apocalypse, si. Toutes guitares hurlantes, le fameux Jon Spencer Blues Explosion est bien décidé à réveiller les morts. Deux guitares qui se répondent, un gros cogneur derrière les fûts, des amplis vintage et badaboum, c’est l’explosion. Dans son futale en sky, Jon Spencer fait l’amour au micro et provoque les pogos de lycéens devant. Les hormones travaillent furieusement. Bon par contre, derrière, les amateurs d’Hindi Zahra font un peu la gueule. Nos oreilles aussi, faut avouer, alors après une quarantaine de minutes, on fuit Poulain Corbion pour éviter qu’elles saignent.

L’occasion de faire une petite balade dans le centre. À l’approche de la Place du Chai, on retrouve le crew Benda Bilili, qui quitte le site sous la bruine, le sourire un peu en berne pour le coup. Une rue plus loin, quatre blancs-becs, la démarche incertaine, siphonnent dans une bouteille en plastoc un mélange douteux : vodka/lait ribot. « On est Breton oui ou merde ?! » Euh… le Breton, il fera moins le malin devant sa copie de philo la semaine pro.

Un godet – de bière, pas fous – plus tard, retour sur le site pour LE concert attendu du soir. Ladies and gentlemen, The Hives ! On cherche à se placer stratégiquement, entre les foufous du devant et les moumous du derrière, quand on entend une maman conseiller à son fiston : « Tiens, viens par-là, on va se mettre au milieu, un peu devant, on sera bien. » Mauvais idée madame, très mauvaise. À peine les énervés entrés sur scène, c’est la furie dans le public, qui ferraille à l’ancienne, pogos, slams et grand n’importe quoi.

The Hives

Il faut bien reconnaître que le set des Suédois est ultra efficace. Ultra burné aussi. Ultra réglé enfin, pour clore la description. C’est peut-être le seul défaut à souligner, cette tendance à tout caler au poil de cul : de la tenue au décorum en passant par les choré et même les pirouettes du chanteur hyperactif, aux gimmicks semblables à celles d’un Jim Carrey époque Ace Ventura. Ahah. Mais cette critique évacuée, reste un putain de bon son et grand concert. Bon par contre, inutile de préciser que les fans d’Hindi Zahra ont lâché l’affaire et pris la fuite.

La furie Hives terminée, ne reste plus qu’à attendre le dernier concert de la soirée à Poulain Corbion : Yelle. C’est un sacré cadeau empoisonné qu’ont offert les organisateurs à la régionale de l’étape, car passer après de l’aussi bon rock’n roll, c’est pas facile. Surtout quand on propose quelque chose de radicalement différent : soit de l’électro-dance habillant une voix rappelant la Vanessa Paradis ado. Ainsi qu’une forte propension à transformer la scène en défilé de mode (avec notamment une arrivée dans une grosse tenue de camouflage rappelant un faux bonhomme Cetelem).

Yelle

Boucle bouclée pour l’auteur de Safari Disco Club, qui avait étrenné son nouvel album sur la scène de la Citrouille il y a quelques semaines avant de s’envoler pour les States et une tournée triomphale.
C’est moins la fête ce soir, même si ça danse bien devant, avec notamment pas mal de mecs bourrés (nos lait-ribots ? Non, ce serait fort étonnant.) Derrière, ça commence à se frotter les yeux. On ne tarde pas à les imiter d’ailleurs. Dernier passage par la Place du Chai, où ça commence à bien sentir la défaite aussi, et hop, rideau pour ce soir.

R.D, avec J.M