Fauve. Derrière ce patronyme, se cache un collectif énigmatique pratiquant un spoken word hypnotique, qui peut faire figure de sensation musicale de l’année 2013. Ce serait beau. Et mérité.
On nous avait filé un 06 et un soir de semaine pour le composer. Pierre devait y répondre. Ou peut-être Quentin. Ça aurait pu être Simon ou Nico. Ce fut Stéphane. Peu importe, car Fauve est un collectif qui « s’exprime d’une même voix ». Sur scène, ils sont cinq mais en coulisses, ils peuvent être dix ou vingt. « Des amis de longue date et des rencontres qu’on peut faire au gré des concerts et des soirées. Fauve est protéiforme. Qui on est, d’où on vient et ce qu’on fait dans la vie n’est ni intéressant ni important. Dis-toi qu’on est comme tout le monde. »
Le mystère s’épaissit autour de ce « corp » qui a seulement posté quatre morceaux sur YouTube, mais dont la réputation ne cesse d’enfler. Sans qu’on ne sache rien d’eux ou presque : aucune bio, tout juste sait-on qu’ils sont âgés de 27 ans et originaires de la région parisienne. « Fauve est né en 2010, mais ça fait vraiment un an que ça prend forme », éclaire notre interlocuteur, qui s’emballe : « Même si ça fait un peu pompeux, je vais te le dire car c’est comme ça qu’on voit les choses : on veut s’étendre au-delà de la musique. Si demain, on veut se lancer tous ensemble dans un autre domaine, on le fera. On ne veut pas se donner de limites ni de contraintes. »
Fauve revendique sa liberté, mais n’allez pas parler d’un groupe sauvage qui se réclame hors-système. S’il n’est signé sur aucun label malgré les sollicitations qu’on imagine – de Kitsuné notamment, dont la dernière compil met à l’honneur le morceau Kané – c’est un acte réfléchi mais pas définitif. « On n’est pas snob, clairement on a envie de signer avec un label. C’est juste qu’au stade où on en est, c’est-à-dire au tout début, on considère qu’on n’en a pas besoin. C’est une trop grande décision qu’il ne faut pas prendre dans la précipitation. On est lent mais en même temps on a tous des boulots à côté. »
Au printemps, il va tout de même falloir poser des RTT pour assurer une tournée des festivals. Rien qu’en Bretagne, Panoramas, Mythos et Art Rock ont programmé la nouvelle sensation, qui encaisse l’engouement en essayant d’éviter le vertige. « On hallucine de voir l’ampleur que ça prend. Que des gens se retrouvent dans ce qu’on fait, c’est dingue. Je te jure, certains nous expliquent que nos textes les aident dans leur vie. C’est à la fois déstabilisant et galvanisant. Et quelque part, c’est disproportionné. On n’a pas l’impression de l’avoir mérité, pas encore. »
Difficile de dire ce qui hypnotise autant chez Fauve. Le groupe lui-même l’ignore, et peine à définir son style ovni, mélangeant phrasé slam et guitares rock. « Ce n’est pas du slam, ni du rap. On est incapable d’en faire. On fait du conversationnel, autrement dit du spoken word, avec la musique qui est là pour sublimer l’histoire. C’est dans la veine de Gil Scott-Heron. »
Voilà pour la forme. Quant au fond, il touche en plein cœur la fameuse génération Y car il déborde des sentiments contradictoires qui animent leur quotidien : du spleen enchaîné avec des périodes d’euphorie. La vie dans ses excès de beaux losers et dans ses frustrations de héros tristes.
Régis Delanoë
Photo : DR
Paru dans Bikini#11
Le 20 avril à Mythos à Rennes
Le 18 mai à Art Rock à Saint-Brieuc