POUR ATTIRER LES CLIENTS, LES GRANDES SURFACES NE MISENT PAS QUE LES PRIX BAS. DE NOMBREUSES ENSEIGNES MULTIPLIENT LES ANIMATIONS ET INVITENT DES STARS DE LA TÉLÉ. AU PROGRAMME : DÉDICACES, BISOUS ET DOMINOS GÉANTS.

La scène se passe un samedi à l’hypermarché Carrefour de Langueux, près de Saint-Brieuc. Au milieu de la galerie marchande, postés sur une estrade, quatre garçons en marinières bleu marine et blanches sont le temps d’une journée le centre d’intérêt commun des clients venus refaire le plein de Chocapic et de pizzas Sodebo.

Dans l’ordre d’apparition (mais pas de grandeur) : Passe-Muraille, Passe-Temps, La Boule et Passe-Partout. L’équipe de Fort Boyard est dans la place ! De 10 h à 18 h, les trois nains les plus fameux de la télé et leur pote gras-double vont enchaîner les séances de dédicace et se laisser prendre en photo avec petits et grands n’enfants.

C’est la magie de Fort Boyard : ça parle à tout le monde. Dès qu’il aperçoit un appareil photo, Passe-Partout fait ce qu’on attend de lui sans qu’on le lui demande : tendre son bras vers l’objectif et montrer le pouce, l’index et le majeur, façon « on a trois clés, vas-y Brigitte, kung-fu dans la boue pour choper la quatrième ! »

« Viens me faire un bisou ma belle »

Assis à côté, La Boule est en roue libre. « Comment tu t’appelles ? Alizée ? Viens me faire un bisou ma belle », dit-il en arrachant la gamine des bras de son père pour la poser d’autorité sur ses genoux, attendant photo et bécot. L’audience assiste à la scène, amusée.

Pot-pourri de commentaires : « Il a la forme Passe-Partout, ça vieillit peut-être pas pareil un nain » ; « Il est dégueulasse La Boule, on dirait qu’il est bourré » ; « Il est pas là le Père Fouras ? Et Félindra-tête-de-tigre ? » Toutes les cinq minutes, la même musique repasse en boucle dans les enceintes, à rendre fou : « Ta-ta-ta daaa ! Ta dam tam tam dam ta-ta-ta-ta daaam ! »

En retrait, Stéphane Manach observe la scène. Il a la banane. C’est lui qui a fait venir les loustics en sa qualité de président de l’asso des commerçants : « Ils étaient déjà venus pour l’ouverture du drive il y a quelques temps et ça avait bien fonctionné, alors on les a de nouveau sollicités. C’était prévu pour l’été mais ils ont un planning de dingue. »

Une centaine de dates par an

Le manager Patrick Champagnac confirme qu’en dehors des trois mois de tournage au Fort, la Boyard Family passe l’année à sillonner la France. « Une centaine de dates, principalement en hyper. Et ça cartonne toujours. » Tout le monde y gagne : un gros chèque pour les vedettes (on n’a pas réussi à savoir combien mais La Boule a tiré un sourire quand on lui a demandé et a simplement répondu « pas mal »), une cace-dédi pour les clients et du monde dans les rayons pour le magasin.

Lors de l’inauguration de l’Hyper U de Châteaugiron en février dernier, le directeur Gaëtan Chauviré avait lui aussi décidé de faire venir Passe-Partout. « C’est un personnage populaire, simple et sympathique qui aime le contact avec les gens », justifie-t-il. En tant que personnalité télé d’un programme familial qui traverse les générations, Passe-Partout – qui porte bien son surnom – est consensuel et idéal pour animer un lieu aussi neutre qu’un hyper.

« L’idée c’est quoi ? Générer du trafic, dynamiser les ventes et fidéliser la clientèle », pose Cédric Bastié, responsable d’évasion Communication, un poids lourd de l’animation commerciale en France.

« Matt Pokora coûte cher »

Sa boîte propose aux enseignes trois types de service : faire venir sur place un animateur micro (« Vente flash : pour deux bouteilles Ricard achetées, la troisième offerte ! »), installer des bornes de jeu interactives (celles où vous insérez votre ticket de caisse en espérant gagner un week-end à Djerba) ou engager une “star”.

C’est là que Passe-Partout intervient, ou une ancienne Miss France, ou un chanteur calibré radio. Un choix que Cédric Bastié aurait tendance à déconseiller. « Matt Pokora par exemple coûte cher, et qui va venir le voir ? De l’ado qui ne va pas consommer. » Son conseil ? Les stars virtuelles, façon mascotte : T’Choupi, Dora l’Exploratrice… « Captain America c’est mieux que Matt Pokora car, dans ce cas, c’est la maman qui viendra avec ses enfants et fera en même temps ses courses de la semaine. »

L’intérêt pour le centre commercial est de donner autre chose à sa clientèle qu’un caddie et une incitation à le remplir, « même si c’est la finalité », précise Karine Picot-Coupey, prof en marketing à Rennes 1. « Les professionnels de la grande distribution sont bien embêtés en ce moment, poursuit-elle, car l’hypermarché est devenu un espace trop déshumanisant. Les caisses automatiques, ça fait gagner du temps mais le client finit par s’y perdre. Pareil avec le drive et Internet. Si les clients viennent au magasin, il leur faut quelque chose en plus : un service, un conseil… ou une animation. »

« Faire ce qu’ils ont à faire : consommer »

Cédric Bastié est du même avis : « Le responsable d’un hyper doit cesser de considérer le lieu comme un simple espace de vente. Il faut que ce soit un centre de vie où on prend plaisir à se rendre, comme on se rend au marché du village. »

Dans cet esprit, Leclerc avait récemment lancé une campagne de pub intitulée “Les Alliances Locales”. Le concept était de mettre en scène producteur et commercial pour bien montrer la volonté de proximité de l’enseigne avec l’économie locale. Exemple : un proprio de magasin pris en photo avec un maraîcher dans un champ de poireaux sous le slogan « Ces deux-là sont faits l’un pour l’autre ».

« L’animation doit être prise au sens global, poursuit Karine Picot- Coupey. Qu’on fasse l’événement en faisant venir une personnalité ou qu’on essaie d’instaurer plus de lien social, il faut faire en sorte que les clients se sentent à l’aise dans ce tiers-lieu qu’est l’hyper et fassent ce qu’ils ont à faire : consommer. »

« On est l’hyper le plus sympa »

Les champions dans ce domaine se trouvent au Cora de Pacé, près de Rennes. L’hypermarché compte près de 10 000 fans Facebook et un community manager au taquet : Éric Bourdé. « Ma volonté quand on m’a confié ce poste, c’était non pas de servir la soupe commerciale mais de rendre service à nos clients et, si possible, de les divertir. »

Comme en 2011 avec la vidéo YouTube de dominos géants réalisée dans le magasin qui dépasse aujourd’hui les 600 000 vues. « On a même eu droit à un passage télé au Japon », se marre Éric Bourdé, qui dit s’inspirer de « l’esprit potache de Rémi Gaillard » pour imaginer ses animations : jeux de réflexion à la con, happening, vidéos tournées à l’arrache dans les rayons la nuit…

« On n’est peut-être pas réputé pour être l’hyper le moins cher du secteur mais le plus sympa, oui. Une communauté de fans s’est constituée, ils s’arrangent parfois pour se retrouver, par exemple demain pour la foire aux vins. Si tu veux venir d’ailleurs, hésite pas. »

Régis Delanoë
Article paru dans BIKINI #14