Et si Brest devenait la capitale de la SexTech ? C’est le projet un peu fou de l’entrepreneuse Christel Le Coq qui souhaite lancer un accélérateur de startups prêtes à révolutionner nos vies sexuelles.
Brest : sa rue de Siam, son téléphérique, son accent ti-zef, ses albums de Christophe Miossec, ses fêtes maritimes, son stade Francis-Le-Blé… Et bientôt ses startups du sexe ? L’idée peut surprendre, elle est pourtant bien dans les tuyaux. D’ici la fin de l’année, un accélérateur de jeunes entreprises estampillées “SexTech” devrait voir le jour dans la cité finistérienne. La SexTech ? Ce secteur d’activités où les technologies du numérique bousculent le business de la sexualité en proposant de nouveaux produits et des usages réinventés.
Derrière cet innovant projet, on retrouve Christel Le Coq. Fondatrice de la startup E-Sensory, cette entrepreneuse brestoise avait pas mal fait parler d’elle en 2014 avec la création de Little Bird, un sextoy connecté à une application de littérature érotique (le toy vibrait aux passages les plus chauds du roman). Une idée loin d’être bête qui, en 2016, a emmené cette quadra jusqu’à la Mecque de la high-tech, le Consumer Electronics Show de Las Vegas, où elle a décroché un prix d’innovation. Malgré cette distinction et de nombreux échos dans les médias, E-Sensory a dû se résoudre à plier les gaules au début de l’année 2018.
« Des investisseurs qui nous plantent »
« L’entreprise a été placée en liquidation judiciaire. Les raisons sont multiples : des problèmes de production, de financement, de stratégie… J’assume certaines erreurs – comme le fait d’avoir voulu produire 100 % made in France – , mais je regrette d’avoir dû affronter des obstacles que je n’imaginais pas si nombreux, comme des banques qui refusent de nous suivre, des investisseurs qui nous plantent à cause de la nature du projet… Je pourrais écrire un bouquin si je voulais raconter tous les coups que j’ai reçus. »
Un couac professionnel sur lequel Christel a donc décidé de rebondir en créant son accélérateur de startups SexTech, le seul en France avec celui lancé par Dorcel l’an passé. « Avec E-Sensory, j’ai acquis une expérience que je souhaite désormais partager avec d’autres entrepreneurs. Je connais leurs difficultés, les choses à faire et ne pas faire, les pièges à éviter… L’idée est de pouvoir les accompagner et leur donner le maximum de clés pour réussir. »
Un projet qui sera monté en partenariat avec The Corner, la nouvelle place forte des jeunes entreprises du numérique à Brest. Habitué à travailler sur des secteurs d’activités disons plus classiques, Julien Sévellec, co-fondateur de ce lieu, a tout de suite dit oui à l’idée de Christel. « Cela faisait plusieurs années qu’on observait son travail d’influence afin de prêcher la bonne parole de la SexTech. Et comme elle, on est persuadé qu’il y a plein de choses à imaginer dans ce domaine. C’est un marché fort dont il est l’heure de faire bouger les lignes. »
« La sexualité est l’expérience la plus partagée sur Terre »
Un secteur qui, de tout temps, a toujours su tirer profit des nouvelles technologies et contribuer à leur développement. La popularité du Minitel ? Merci les messageries érotiques. Le succès du format VHS face au Betamax ? Merci les cassettes porno. Les bons scores de Canal Plus ? Merci le film du samedi soir. Économie du plaisir et innovation : un couple souvent gagnant qui, avec la révolution numérique (objets connectés, réalité virtuelle, impression 3D, intelligence artificielle…), peut entrevoir de jolies perspectives et des marchés plus que juteux, à l’image de celui des sextoys dont on estime qu’il pèsera 50 milliards d’euros en 2020.
« La sexualité – quelle que soit sa forme – est l’expérience la plus partagée sur Terre. Partant de ce constat, il y a forcément de nombreux projets et une multitude de produits à concevoir, assure Christel Le Coq. Mais attention : il faut que cela ait du sens. Si c’est pour inventer un énième Youporn, ça n’a pas d’intérêt. Nous visons des projets qui touchent davantage à l’érotisme, à la prévention, à la santé, à la sexualité et au plaisir pour tous. Le porno ? Je ne suis pas une anti : si quelqu’un vient avec l’envie de défendre du X éthique et féministe à la Erika Lust, je dis OK. »
Sextoys dans les Ehpad
Pour sa première promo, l’accélérateur espère accueillir une dizaine de startups. Parmi les projets déjà repérés par Christel, celui de Pierre (prénom modifié). À 53 ans, cet entrepreneur, actuellement éditeur de logiciels à Nantes, souhaite développer une gamme de sextoys à destination des personnes en situation de handicap et du 4e âge. Un public totalement ignoré à l’heure actuelle par l’industrie du jouet pour adultes (à l’exception de la société poitevine HandyLover qui a développé des “bancs de masturbation” adaptés aux personnes à mobilité réduite). « L’idée m’est venue lorsque je suis tombé amoureux il y a quelques années d’une femme magnifique qui était en fauteuil, rembobine Pierre. Dès lors, je me suis beaucoup interrogé sur la question de la sexualité chez les personnes handicapées. Je voyais les manques en la matière et souhaitais trouver des solutions pour y pallier. »
Car oui, les corps brisés ou vieillis ont aussi le droit au plaisir. « Beaucoup de gens découvrent cette réalité mais préfèrent se mettre la tête dans la sable, ce qui peut conduire à des situations dramatiques. On n’imagine pas à quel point c’est compliqué pour une famille de gérer les pulsions sexuelles d’un parent ou d’un enfant. Il suffit d’interroger le corps médical ou le personnel des Ehpad pour mieux s’en rendre compte. Mais cela demande du recul et tout le monde ne l’a pas. »
S’il a déjà commencé à dessiner ses premiers modèles (« plus ergonomiques, pouvant être utilisés quelle que soit la position de la personne, avec des boutons de commande plus gros, facilement lavables… »), Pierre espère lancer le prototypage dans les semaines à venir et se fixe l’horizon 2019 pour les différentes phases d’études scientifiques, avant une possible commercialisation.
Parmi les autres projets sourcés par l’accélérateur brestois : une entrepreneuse souhaitant développer des prothèses mammaires high-tech pour les femmes ayant subi une mastectomie « restituant un sein aux formes, poids et tailles identiques ». Et, plus frivole, la startup parisienne Lola Next Door où camgirls et utilisateurs peuvent désormais échanger via Snapchat. « Un nouveau style de divertissement pour adultes, entre le sexto et le show webcam », résume son jeune créateur Jean-Phillipe Hue, 24 ans.
« Si toutes ces entreprises sont sur des produits différents, elles partagent pour autant des problématiques communes : la difficulté de trouver des investisseurs, d’obtenir des prêts bancaires, de communiquer, de mobiliser une communauté…, fait savoir Christel. Avec l’accélérateur, notre objectif est de pouvoir anticiper ces problèmes et créer un écosystème qui soit favorable au développement des projets. » « Cela passe par des freins, notamment culturels, qu’il faut faire sauter, poursuit Julien de The Corner. Et si certains interlocuteurs et acteurs économiques refusent de s’engager, d’autres leviers devront alors être activés. »
« Financement anonyme »
Une situation que s’attend à vivre Pierre avec ses sextoys. « Pour la réalisation des premières séries, il va falloir trouver des financements à hauteur de 1 ou 2 millions d’euros. C’est là que ça peut coincer car ça reste tabou pour beaucoup de gens. Mais j’espère trouver d’autres relais et pourquoi pas des mécènes institutionnels comme la Fondation de France ou l’APF France Handicap qui sont naturellement sensibles à ce genre de sujet, indique l’entrepreneur qui – et c’est symptomatique – préfère rester anonyme avant le lancement officiel de son produit. Je n’ai malheureusement pas confiance dans l’ouverture d’esprit de mes contemporains. C’est encore trop tôt pour m’afficher et faire courir un risque sur mes autres entreprises. Un de mes actuels partenaires qui ne jugerait pas mon projet moral pourrait très bien décider de se retirer. »
Une frilosité que regrette Frédéric Nicolas, porte-parole brestois de la French Tech, le label attribué aux villes “startups friendly”. « D’une manière globale, il faut savoir que les fonds d’investissement refusent 95 % des projets qu’on leur soumet. Mais pour les entreprises de la SexTech, c’est encore plus compliqué et cela peut devenir le parcours du combattant. Des solutions existent malgré tout : je pense notamment au blockchain, un nouveau mode de financement anonyme. »
Même état d’esprit de la part de Florent Vilbert, de la French Tech Rennes St Malo. S’il affirme que le territoire breton demeure relativement dépourvu en entrepreneurs du sexe 2.0, il reste persuadé du futur essor de ce secteur. « Pour preuve, la SexTech sera l’un des principaux thèmes de la “Digital Tech Conference” que nous organisons à Rennes en décembre prochain. »
Julien Marchand
Visuels : Gwendoline Blosse et DR
Paru dans Bikini#37