Le cinéma porno est un genre où il est coutume de privilégier l’image. Entre deux scènes de culbutes, de la musique se fait pourtant entendre. Mais qui se cache derrière ces compositions parfois bien foutues ?
Il y a des films dont on reconnaît immédiatement la bande originale. Certaines d’entre elles sont aussi connues que le long-métrage lui-même. Seulement voilà, tout le monde ne s’appelle pas Drive, Kill Bill ou Dirty Dancing. Dans le cinéma porno, le constat est encore plus cruel : le public n’en a généralement rien à foutre de la musique qui passe avant, pendant ou après les scènes. Parmi vous, chers lecteurs, qui serait capable de siffloter le thème de Secrétaires prêtes à tout, Infirmières à domicile ou Etudiante le jour, escort girl la nuit ? Avouez que c’est plus facile avec Amélie Poulain.
Méconnue ou ignorée, la musique dans le X n’est cependant pas inexistante. Clip de cinq minutes ou long métrage, soft ou hard, pro ou amateur : quel que soit le type de production, il suffit de tendre l’oreille pour découvrir des touches de synthé, des lignes de basse, des nappes de violons ou des grattements de guitare. D’où notre interrogation : existe-t-il des musiciens estampillés films de boules ?
« L’impression d’être dans les années 70 »
Patron d’Iris Casting Production, une boîte spécialisée dans le X amateur, le Rennais Pascal Galbrun utilise de la zik dans chacune de ses vidéos. Sous contrat avec la société Dorcel, à qui il vend les droits de ses films afin qu’elle les commercialise, il traite directos avec le leader du X français pour le choix des pistes audio. « Toutes les musiques qu’on retrouve dans mes prod’ lui appartiennent. J’envoie à Dorcel mes images montées et donne juste quelques indications sur le style de bande son qui collerait le mieux à l’histoire, explique l’auteur de La France Profonde, une série porno au cœur de nos régions. Souvent, ce sont des morceaux qu’on retrouve sur plusieurs films. Si l’ambiance correspond, ils sont réutilisés. »
Contactée, la société Dorcel n’a pas souhaité nous en dire plus (« La musique peut être signée par des artistes, des studios ou directement par Marc. Mais nous ne souhaitons pas communiquer davantage pour ne pas dévoiler nos secrets de fabrication. »). Malgré tout, quelques compositeurs ont déjà rendu publique leur collaboration avec le pape du porno chic. C’est le cas d’Eric Chedeville, alias Rico the Wizard, proche des Daft Punk et de Sébastien Tellier avec qui il a taffé sur l’album Sexuality.
Organiste attitré de Peter Von Poehl, Charlie O, également musicien pour Philippe Katerine et étienne de Crécy, a lui aussi quelques bandes son de films porno à son actif. Parmi ses collaborations phare, celle avec le réalisateur John B. Root. « J’ai commencé à travailler avec lui sur le film Exhibition 99. Je trouvais ça cool de bosser sur un projet comme ça. J’aimais bien l’idée et le côté baba cool du cul libéré. J’avais l’impression d’être dans les années 70, se souvient-il, amusé. Et puis John B.Root est quelqu’un de cultivé. Dans ses films, il veut des compositions et pas uniquement qu’on fasse tourner la boîte à rythmes. »
Dans un style cinématographique où l’image prime, deux écoles se distinguent quant à la fonction de la musique : ceux qui l’utilisent dans les scènes de sexe et ceux qui la réservent uniquement pour les moments de comédie. « Dans le genre amateur, on a l’habitude de laisser les sons réels pour les plans hard sans ajouter d’effets sonores, éclaire Pascal Galbrun. Par contre, si on a une scène de balade sur la plage ou une course poursuite en voiture, la musique se justifie. »
Position différente pour John B. Root qui, pour chaque long métrage, essaie d’associer culbutes et instruments. « La musique n’est pas qu’un accompagnement. Ce qui m’intéresse, c’est de lui donner un rôle de contrepoids. Dans une de mes scènes de partouze par exemple, j’avais un héros en plein désarroi. On a alors utilisé une valse et ça marchait : on voyait la scène comme si on était dans sa tête ! »
« Parfois des fonds de tiroir »
Même son de cloche du côté du réalisateur Jack Tyler. Pour ses films Propriété privée et Journal de la chair, il a ainsi utilisé des musiques originales, faisant spécialement appel à des formations. Parmi celles-ci, les Morlaisiens d’Abstrackt Keal Agram, ancien groupe de Tepr (Yelle) et de Lionel Pierres (Fortune). « On a bossé sur six de ses films. Ça reste une expérience plutôt cool car amusante, se rappelle Lionel. On lui a composé des morceaux électro – parfois des fonds de tiroir j’avoue – mais on a aussi fait des trucs en impro, accompagné d’un batteur, avec le film qui défilait sous nos yeux. Après, artistiquement, c’était surtout la rencontre qui était intéressante. »
Malgré leurs bonnes volontés, les plus artistes des réal’ reconnaissent que la musique reste « le parent pauvre » dans le métier. Depuis les années 70 et 80 (âge d’or des B.O dans le X avec des films comme Gorge Profonde, Emmanuelle ou Bilitis), tous observent un désintérêt croissant pour les bandes son. La baisse des budgets dans l’industrie pornographique est citée comme principale explication.
« A part des sociétés comme Dorcel, plus personne ne gagne d’argent dans le porno, affirme John B. Root. La plupart des réalisateurs ne peuvent plus s’offrir des musiciens. Pour mes films, je fais appel à eux uniquement si une diffusion Canal est prévue. Ce qui permet aux artistes d’être payés par la Sacem en droits d’auteur. ça se chiffre alors en quelques milliers d’euros. »
Julien Marchand
Photo : Clip de The Aikiu
Article paru dans BIKINI #9