yann-tiersen-credit-gaelle-evellin-v2Yann Tiersen cultive un rapport fort avec Ouessant. De ses souvenirs d’enfance à son installation il y a quelques années : le musicien nous confie les raisons de sa vie insulaire.

Comment a commencé ton histoire avec Ouessant ?
Ça a démarré quand j’étais gamin. Mon père est mort quand j’étais super jeune, j’avais sept ans. Mes parents ont vécu à Brest, où je suis né, et mes quasi seuls souvenirs que j’ai de mon père, c’est Ouessant. On n’avait pourtant pas d’attaches là-bas mais on y allait régulièrement. Cette île est alors devenue un moyen pour me rappeler mon père. Ado, j’y retournais très souvent.

Et aujourd’hui, tu y habites…
En 1996, j’y ai composé l’album Le Phare. J’avais loué une maison pendant un mois. Ca s’est super bien passé : j’arrivais à travailler facilement, les choses se faisaient avec naturel. Je m’y sentais bien, inconsciemment sans doute. J’y suis revenu quelques années plus tard pour la composition du disque Les Retrouvailles. Et lors de ce séjour, j’ai rencontré plein de gens, fait la connaissance de Ouessantins. Je m’y suis un peu trouvé une famille. Depuis, je n’ai plus bougé.

« L’Islande, c’est Ouessant avec Brest au milieu »

En tout, tu as composé combien d’albums à Ouessant ?
Depuis Les Retrouvailles, tous. Une partie d’Infinity (son dernier album sorti en 2014, ndlr) a été composée aussi en Islande. Pas un hasard qu’il ait été commencé là-bas. Je sortais d’une grosse tournée. Australie, USA… avant de finir par une date à Barcelone. Pour ce retour en Europe, on avait fait une pause de cinq jours en Islande. J’avais le sentiment de rentrer à la maison. L’Islande, c’est Ouessant avec Brest au milieu. C’était génial.

Fin 2015, tu as sorti la vidéo de Porz Goret, tournée à Ouessant. Un morceau issu de Eusa, un livre de partitions que tu as écrites…
Pour Eusa (Ouessant en breton, ndlr), j’ai écrit dix morceaux pour piano. L’idée, c’était de faire une sorte de carte. Chaque titre fait référence à un coin de l’île : Penn ar Roc’h, Kadoran, Yuzin… Tous ces lieux vont d’ailleurs constituer la base de mon prochain album (dont la sortie est programmé le 30 septembre 2016, ndlr) . J’y ai fait des enregistrements : le bruit de la mer, le vent… Des sons que je vais trafiquer pour qu’ils génèrent des mélodies, des suites d’accords… Je les jouerai ensuite au piano et les enregistrerai en pleine nature dans un autre pays. Avec cette envie de faire voyager cette racine ouessantine et de la mettre en parallèle avec un autre lieu.

Tu as toujours eu une attirance pour les îles ?
Je ne sais pas trop… Je pense que c’est surtout le fruit de mon histoire. J’ai déjà essayé de poser mes valises ailleurs mais ça n’a pas marché. Et puis, ça correspond à mon mode de vie. Ça calque finalement assez bien avec l’histoire de Ouessant : j’ai un peu une vie de marin de commerce. La vie de tournée, partir longtemps avant de rentrer chez soi, ça s’en rapproche.

« Tout sauf des lieux où on est isolé »

Vivre sur une île, c’est facile ?
Ça dépend de chacun. On pourrait se croire seul au monde mais, au contraire, on s’y sent très entouré. Pour moi, ce sont tout sauf des lieux où on est isolé. Il y a une grosse solidarité entre les gens. On vit dans une époque où c’est important de connaître son voisin. Et les îles constituent en ce sens des laboratoires. Tout y est possible. La société est si compliquée de nos jours, les choses sont tellement dures à mettre en marche pour tout et n’importe quoi… Sur une île, grâce à cette proximité entre les gens, les choses peuvent se faire plus simplement, plus directement. Il faudrait s’en inspirer.

Tu connais bien les Monts d’Arrée pour y avoir passé une partie de ta jeunesse. Quelles similitudes vois-tu entre le centre-Bretagne et les îles ?
Les Monts d’Arrée, ça remonte à mon enfance. On avait une maison à Plounéour-Ménez, dans le Finistère. On y allait tous les week-ends avec ma mère. J’étais seul, souvent dans la nature, mais ça m’a vachement construit. Avec Ouessant, c’est l’un des endroits les plus beaux dans la région. Ce sont des lieux durs mais pleins de vie. J’ai tendance à voir les Monts d’Arrée comme un endroit hyper dynamique en Bretagne. Un peu comme Détroit aux États-Unis (sourire). Il y a eu tellement de désertification, d’exode rural et de malheurs dans le centre-Bretagne que du coup les prix ne sont pas chers. Et aujourd’hui, on voit des gens qui n’ont pas trop de fric – des jeunes notamment – venir s’y installer. Il se passe alors à nouveau des trucs. À Ouessant, il pourrait y avoir le même phénomène mais le gros problème des îles, c’est le tourisme. Je ne crache pas dans la soupe mais cela a des répercussions. Les prix flambent à cause des résidences secondaires. Le tourisme, s’il est positif sur de nombreux aspects, peut être perçu comme une balle dans le pied. C’est un problème insoluble. Tu ne peux pas empêcher les gens de vendre cher leur maison sur l’île. Et tu ne peux malheureusement pas y faire des opérations comme dans certains villages où le prix du m2 est à 1 €. À la différence du centre-Bretagne, c’est du coup très compliqué pour les jeunes de s’installer sur une île.

La question de la jeunesse insulaire, tu y travailles désormais avec ton projet de centre culturel L’Escale. Comment tu t’es embarqué là-dedans ?
Comme ma maison est à Ouessant, je voulais trouver un lieu sur l’île pour installer mon studio. Je suis alors tombé sur L’Escale, une ancienne discothèque qui était à l’abandon depuis 1998. Ça me semblait l’endroit idéal. J’ai donc sauté le pas et l’ai rachetée. Un studio c’est bien, mais ça a ouvert la porte à d’autres choses : faire des salles de répétition pour les musiciens de l’île, mettre du matériel à disposition, organiser des concerts à l’année… Le mot qui se rapproche le plus, c’est MJC. Je sais que ce n’est pas super vendeur comme terme mais ça résume bien l’idée que je me fais de ce projet. On est encore au stade des travaux mais j’espère une ouverture l’an prochain. Si des jeunes de l’île souhaitent monter un groupe, il y aura désormais un lieu et des outils pour ceux qui veulent être aidés. Ce sera ensuite à eux d’inventer ce qu’on y fera.

Recueilli par
Julien Marchand
Photo : Gaëlle Evellin – Mute
Paru dans BIKINI #26