ENTRE DÉSIR DE RECONNAISSANCE ET CULTURE DE LA DÉBROUILLE, LE HIP-HOP BRETON ATTEND SON HEURE. UNE SIMPLE QUESTION DE TEMPS ?
Salle de la Goutte d’Or, à Paris, samedi 12 février 2011. En finale de Buzz Booster, unique tremplin rap national, Kenyon est désigné vainqueur. Originaire de Rennes, ce jeune homme de 22 ans devance à la surprise générale les représentants des régions Île-de-France et PACA, les deux bastions du rap français. Une sacrée perf’ pour un garçon surtout content d’être « sorti du lot » (lire plus bas).
« Avec cette victoire, Kenyon s’est offert dix dates dans les principaux festivals hip-hop français. Il a aussi tapé dans l’œil de Soprano qui lui a demandé d’assurer quelques premières parties, se félicite Mathieu Lefort du festival briochin Cité Rap, rendez-vous référence dans la région. Avec Kenyon, on va avoir toute l’année un représentant du rap breton qui va tourner. » Un artiste sur lequel les acteurs régionaux de la scène hip-hop misent énormément tant son nom est cité régulièrement par chacun d’entre eux. Beaucoup espèrent voir en lui le premier ambassadeur du rap Ouest-Coast.
Hit Machine
Car si Paris a NTM, Marseille IAM, Nantes Hocus Pocus et Strasbourg Abd al Malik, la Bretagne n’a jamais flambé nationalement. Le seul gros succès commercial d’un groupe breton est l’œuvre des Rennais de T5A. Leur single Attiré par le vrai s’était vendu à 70 000 exemplaires en 1996. C’était l’époque des casquettes Kangol et du Hit Machine de Charlie et Lulu. Depuis, rien, ‘fin presque.
Car si des rappeurs, à l’image de Micronologie, Appartement Mental, Psykick Lyrikah ou Simba se sont construits une notoriété régionale auprès des initiés, aucun ne s’est encore imposé aux yeux du grand public.
En Bretagne, une cinquantaine de groupes ont pourtant été recensés par le tremplin Buzz Booster. Mais pas de tête de gondole.« Il manque une locomotive qui ferait prendre conscience du vivier rap qui existe dans la région. Comme cela a été le cas avec le rock à une certaine époque. Cela ne pourrait que convaincre les structures de programmer plus de rap », juge Philippe Routeau, le monsieur musique du CRIJ (centre régional d’information jeunesse).
Alee-T5A-attiré par le vrai-1996
« L’héritage rock des Smac »
« Le rap souffre d’un manque de visibilité. Proportionnellement à ce que ça représente, il n’est pas assez programmé dans les lieux de diffusion, comme les Smac (salles de musiques actuelles, ndlr) », ajoute L’Houcine Atmani, qui a été pendant cinq ans médiateur culturel au Block, un studio hip-hop à destination des jeunes à Rennes. « Ce n’est pas facile de trouver des endroits où jouer car il n’y a pas énormément de cafés-concert. Et puis ce sont des lieux qui ont plus l’habitude de passer du rock ou de la chanson, et beaucoup moins de rap », confirme Adrien du groupe Appartement Mental.
Souvent pointées du doigt par les progatonistes hip-hop, les Smac sont jugées frileuses à l’idée de programmer du rap. « On trouve les grosses têtes d’affiche nationales mais c’est tout. En même temps, ce que le public veut voir, c’est la Fouine, Booba… Alors, c’est sûr que ça ne les incite pas à faire jouer des artistes découverte », estiment les quatre gars de Micronologie.
« Nous traitons de la même façon l’ensemble des genres musicaux, se défend Gaëtan Naël, programmateur à l’Antipode à Rennes. Nous n’établissons pas de quotas. Une programmation se fait en fonction des opportunités, des coups de cœur, des calendriers. À l’année, le hip-hop représente tout de même 20 % des groupes programmés chez nous. » Yannick Martin, programmateur à la Carène à Brest, précise qu’il « se doit de passer tous les styles. C’est dans notre cahier des charges ». Il reconnaît cependant qu’il programme moins de découvertes rap car « le public hip-hop se déplace surtout pour les gros artistes français ».
Comment expliquer alors que les rappeurs ne se sentent pas les bienvenus dans les Smac ? Pour Philippe Routeau, cela vient de l’histoire de ces salles. « Leur héritage est rock. Ceux qui sont à leur tête viennent pour la plupart du rock, souvent alternatif. Et les goûts personnels jouent forcément à un moment. »
« Des gens carrés »
Pour tous, c’est une question de génération. « Quand ça sifflotera Ma Benz dans les maisons de retraite, la situation sera différente », ajoute Naufalle Al Wahab, salarié du CRIJ et manager de Micronologie. L’Houcine du Block poursuit : « Quand la génération qui a grandi avec le rap sera responsable de structures culturelles, cela s’équilibrera. Je ne jette pas la pierre à ceux qui sont actuellement en place. Car programmer des groupes, c’est subjectif, tu le fais en fonction de tes sensibilités. »
En attendant, que faire ? Pour Naufalle, les jeunes doivent se tourner vers les structures (MJC, Smac, Point information jeunesse) pour être conseillés. « Ceux qui font du rap ont souvent une méconnaissance de ces réseaux. Du coup, le hip-hop reste une culture qui se fait par le système D. Cela ne met pas en cause la vitalité de la scène locale mais il manque un lien institutionnel pour renforcer le tout», juge-t-il.
Un élément compris par Aces Prods, association de promotion du hip-hop à Lorient. Pour l’organisation de son festival 56100% hip-hop, c’est par l’asso MAPL (qui gère la Smac de la ville) qu’elle s’est fait épauler. « Le fait de travailler avec MAPL et d’avoir le statut d’association de loi 1901 nous aide à être identifiés par les institutionnels. Nous sommes tout de suite reconnus. On a prouvé que nous étions des gens carrés qui voulaient organiser les choses proprement », précise Clémence Guillemot.
Car si la musique rap a toujours mis en avant la culture du home studio, l’accompagnement reste crucial pour ceux qui veulent progresser. « Quand tu es encadré, tu fais un bond extraordinaire, confirme L’Houcine. Quand j’étais jeune, j’aurais adoré avoir des interlocuteurs qui m’aident à faire des maquettes, qui m’aiguillent sur les différents dispositifs et aides possibles. Faut que la génération actuelle en profite. »
« Vingt ans que c’est comme ça »
Mathieu Lefort pointe néanmoins les écueils que peuvent présenter les Smac. Si ces salles sont habituées à accompagner des musiciens amateurs, il estime que « toutes n’ont pas les clés et les outils nécessaires pour les jeunes rappeurs. Cela demande des connaissances et un enseignement particulier. Les Smac ont une nature à rester sur des projets instrumentalistes ». Yannick de La Carène tempère : « Nous faisons appel à des personnes extérieures quand il y a des aspects que nous ne maîtrisons pas. Nous pouvons accueillir un amateur, quel que soit son genre musical. »
Une présence dans les lieux culturels que les différents protagonistes souhaitent voir grandir. L’un des seuls moyens selon eux pour que le hip-hop acquière une reconnaissance institutionnelle qu’ils estiment méritée. Philippe Routeau développe : « Ce manque de reconnaissance, on l’observe notamment quand il y a des rencontres politiques autour du hip-hop. 9 fois sur 10, ce sont des élus jeunesse qui y vont, et pas des élus culture. Pourquoi ? Car c’est une musique qui est toujours regardée sous le prisme des problèmes et des quartiers. Le hip-hop reste cantonné au domaine socioculturel, et pas au culturel pur. Ça fait vingt ans que c’est comme ça. »
Julien Marchand
Photos :
Typhaine Tripoz (www.typhainetripoz-photographe.fr)
Vincent Paulic (http://vincentpaulic.fr)
et BIKINI.
« Le premier qui met Rennes sur la carte entre dans la légende »
Alors Kenyon, ça fait quoi d’être l’espoir du rap breton ?
Être mis en avant et être considéré comme un porte-flambeau, ça fait toujours plaisir. Le plus dur pour un rappeur est de sortir du lot. Car Internet est aujourd’hui embouteillé et trouver des dates reste super compliqué pour beaucoup de mecs.
C’est dur de se faire remarquer ?
J’ai eu beaucoup de chance car j’ai commencé à travailler tôt avec l’équipe de Legal Shot à Rennes qui m’a programmé pour des premières parties dans ses soirées. Ensuite, j’ai remporté certains concours, comme le Buzz Booster. Grâce à tout ça, j’ai pu me faire remarquer par le manager de Soprano avec qui je travaille maintenant. Quand tu as un contact comme celui-ci, c’est beaucoup plus facile car il peut placer ton nom sur une playlist. Si j’avais dû démarcher moi-même, on m’aurait peut-être dit « des comme-toi, y’en a mille ».
Quand tu as commencé à rapper, tu as été accompagné par des structures culturelles ?
Le CRIJ m’a accordé une bourse de 700 € pour m’aider à réaliser mon album. Sinon, je n’ai pas contacté les structures « officielles ». Pourquoi ? D’un côté, j’ai l’impression que les lieux culturels aident surtout les jeunes groupes de rock mais, de l’autre côté, le hip-hop est aussi une culture qui s’est faite en dehors de ces structures. Disons que personne n’a fait le premier pas et j’ai commencé à travailler avec des gens qui se sont débrouillés seuls.
Tu as sorti un album, tu as des concerts prévus… t’arrives à en vivre ?
J’habite encore chez ma daronne. Donc pour vivre comme un gars de 22 ans, ça va. Je ne suis pas encore intermittent du spectacle. Si ça continue, c’est faisable de le devenir.
Tu penses que t’as moyen de mettre Rennes sur la carte du rap ?
J’ai l’opportunité. Si j’arrive à sortir un gros single et que mon blaze explose, c’est possible. Je vais faire le max. Rennes est une ville hip-hop, il y a plein de bons rappeurs, danseurs, graffeurs qui ont ouvert la voie aux plus jeunes. Reste à savoir qui est-ce qui va défoncer la dernière porte et placer Rennes sur la carte. Le premier qui réussit, il entre dans la légende.