Fidèle à son image de journaliste de comptoir dans Groland, Gustave Kervern vient de publier Petits Moments d’Ivresse. Un ouvrage où il interroge acteurs, chanteurs et amis sur leur relation, parfois intime, à la picole.
Comment est venue l’idée de faire parler des personnalités de leurs « petits moments d’ivresse » ?
Faire parler de la picole, ça peut paraître léger, mais en fait on se rend compte que c’est un truc qui traverse la vie de tout le monde, qu’on aime ou pas l’alcool d’ailleurs. On a tous eu une première cuite, on a tous bu des coups avec les copains, on a tous un tonton alcoolique… Finalement c’était l’occasion de faire des mini-biographies à travers ce prisme de l’ivresse.
Parler d’alcool permet de vite rentrer dans l’intimité des gens…
C’est un truc que tout le monde vit. Évoquer l’alcool ravive des souvenirs de jeunesse, de repas arrosés, de moments parfois drôles et parfois moins… C’est aussi un moyen de révéler la part de folie qu’il y a en chacun. Chez les artistes, par exemple. Ceux qui vivent des moments d’ivresse peuvent vite partir en couilles. C’est pour ça que j’ai toujours aimé les biographies de ces gens-là.
Le rapport à l’alcool est-il plus fort dans certaines régions ?
Non, pas spécialement, la picole est universelle. Tiens, même en Iran, t’apprends grâce à Marjane Satrapi (l’auteure de Persepolis, ndlr) que l’alcool circule abondamment. J’aime bien aussi le réalisateur coréen Hong Sang-soo : dans tous ses films les comédiens sont toujours hyper bourrés, lui aussi d’ailleurs, ça donne un effet génial. Pareil avec le Finlandais Aki Kaurismaki, avec qui on a travaillé pour le film Aaltra avec Benoît Delépine. Le mec avait cette réputation de boire énormément, on a fait ce film avant tout pour aller au bar avec lui !
Le bar est-il d’ailleurs un lieu d’ivresse incontournable ?
Pour moi, oui. J’ai jamais trop aimé les repas de potes et les soirées à domicile. J’ai toujours préféré les tournées en solitaire dans les rades. Je le fais moins aujourd’hui, mais j’aimais bien partir d’un point A, arriver à un point B et se faire les bars entre les deux. Je faisais ça surtout le dimanche, un jour où je me fais chier.
« Les pots où t’as plus que du jus d’orange, ça rime à rien »
Que recherches-tu personnellement dans l’ivresse ?
C’est un bon moyen de rencontrer les gens, des inconnus, connaître leur vie, leur métier. J’aime le fait de discuter, parfois cinq minutes, parfois une demi-heure. En fait, c’est par timidité que j’ai commencé à picoler, comme beaucoup de gens d’ailleurs.
L’alcool est-il toujours aussi bien vu aujourd’hui qu’autrefois ?
Dans la culture et au cinéma par exemple, il est toujours bien représenté. Dans la vie par contre c’est autre chose. T’as qu’à voir comment ils nous font chier maintenant avec les vins au verre… Avant, les gens prenaient une bouteille et la sifflaient. Au resto, le midi, le repas à l’eau devient courant. Et les pots de départ dans les entreprises où t’as plus que du jus d’orange, ça rime à rien…
Les troquets sont aussi moins nombreux…
Ouais, on en perd en France des centaines par an, c’est triste. Bon heureusement il en reste, mais je trouve qu’il y a moins de déconne. Dans le quartier de Bastille où j’habite, t’as des rues où t’as plus que des bars lounge, c’est une belle connerie si tu veux mon avis. Heureusement c’est pas encore partout pareil. Dans le 10e arrondissement, t’as le café Chez Jeannette par exemple, qui a été racheté par des jeunes, mais ils ont décidé de tout garder à l’ancienne. Résultat : ça cartonne.
Les bons troquets à l’ancienne ne se trouvent-ils pas dans les petits bleds ?
Quand on fait des repérages pour Groland, parfois on tombe dans des endroits incroyables, dernièrement un bar-épicerie dans l’Oise. C’est surtout le décor qui me fascine, les bars qui sentent le vieux, les tables en formica… Dans l’Oise toujours, une tenancière m’avait montré une encoche sur son comptoir en bois, faite d’après elle par un Allemand avec son couteau. C’est fascinant. Les gens par contre, je me méfie, parce que ça cause souvent politique et c’est pas toujours agréable à entendre.
« Après avoir sifflé une bouteille de Beaujolais, on s’en fout ! »
Apprécies-tu les moments fédérateurs, comme avec le Beaujolais nouveau ?
Je vais dire oui, car les fêtes je suis jamais contre, même si celles qui sont inscrites au calendrier, comme le réveillon, c’est pas souvent les plus réussies. Maintenant après avoir sifflé une bouteille de Beaujolais, on s’en fout de ces considérations !
As-tu un alcool de prédilection ?
J’ai jamais été trop bière. J’ai eu une grosse période pastis pendant un moment, vu que j’ai vécu dans le sud. Le mieux c’est quand même le vin. Dommage par contre qu’on mette de plus en plus d’étiquettes avec un design moderne. Car c’est quand même le vieux graphisme pas beau le plus joli.
Quel est ton rapport à la gueule de bois ?
Les lendemains de cuite sont toujours des moments de honte. Aujourd’hui ça m’arrive moins vu que je bois beaucoup moins, mais il fut une époque où la gueule de bois était quasi permanente, alors faut vivre avec, ça fait partie du jeu. Je me suis toujours démerdé pour pas terminer au commissariat, j’arrive à garder un fond de lucidité. J’ai seulement eu quelques hontes verbales, parce que je disais des conneries. Le matin t’es rongé par la culpabilité quand tu t’en souviens. Mais sinon je ne suis pas un mec violent. L’alcool c’est bien pour rigoler, pas pour se foutre sur la gueule.
Recueilli par Régis Delanoë
photo : Canal plus
Article paru dans Bikini#6