On a aimé

Alt-J
Le groupe préféré des hipsters en ce moment. C’est con pour eux, ils ne méritent pas vraiment ces fans niais qui font un triangle un peu con avec leur mains pour exprimer leur amour. Sérieusement, ils sont agaçants, c’est d’ailleurs le seul petit défaut de La Route du Rock : ce festival est un aimant à hipsters qui se la pètent. Enchaîner Bout du Monde et Route du Rock en deux week-ends, c’est comme passer ses vacances une semaine dans une yourte en Mongolie et la deuxième dans un flat de l’East Village à NYC. Dépaysement violent. Mais bon, pour en revenir à nos moutons, Alt-J a été à la hauteur de nos (très grandes) attentes. Les mecs de Leeds gèrent. Musicalement, c’est hyper propre, bien léché, digne du putain de très très bon premier album An Awesome Wave. Un peu trop proche de l’album même, si on veut chipoter, un peu scolaire. Mais sur scène, la voix atypique du chanteur Joe Newman est impressionnante.

Dominique A
Dominique A et la Route du Rock, une grande histoire d’amour de vingt ans. De tête, c’était la quatrième prestation du gars à Saint-Malo et ce fut un très bon cru. La boule à zéro la plus célèbre du paysage musical français, après Francky Vincent, jouait pour la dernière fois sur scène avec ses zicos du moment. Et on a bien vu qu’ils étaient ultra rodé. Même remarque que pour Alt-J : c’est très, très propre. Et dans un autre style que Joe Newman, la voix de Dominique A rend vraiment bien. Classe gars.

Spiritualized
Jason Pierce est un putain de lads. Le leader de Spiritualized est dans la lignée de Liam Gallagher, Richard Ashcroft et Ian Brown des Stone Roses : lunettes noires, cheveux mi-longs ramassés sur le visage, menton moulé au micro et big paires de balls. Et de Dieu ce qu’il envoie ! Du bon gros rock’n'roll à l’ancienne, avec deux choristes belles comme un coeur et un groupe qui a de la bouteille et le montre. Certaines chansons mériteraient tout de même d’être raccourcies un peu, les envolées psychés peuvent souler à force.

The Soft Moon
La découverte du vendredi soir. On connaissait The Soft Moon de réputation, genre « c’est le concert à ne pas rater, grosse claque en vue » et faut reconnaître que c’était bon. Bien meilleur que le saucisse-frites mangé en les écoutant. Rythmes martiaux, batteries sèches, des caractéristiques qui les ont rangé dans la catégorie « héritiers de Joy Division ». On valide. Bon par contre faut vous prévenir, c’est de la musique froide et bien flinguante hein. Pas franchement youpi matin si vous voulez.

Savages
Au cœur d’une grosse tournée bien éprouvante, les filles de Savages ont fait un détour en Bretagne pour un concert programmé en début de soirée samedi, alors qu’il faisait encore bien chaud. Les quatre membres du groupe, toutes de noir vêtues, ont assuré avec leur post-punk méchamment énergique. On pense tout de suite à un cousinage musical autant que visuel avec Siouxsie & The Banshees. En tout cas ça a donné lieu a quelques bons pogos sur le devant d’un public clairsemé par quelques furieux torse-poil. Parfait pour rallumer la chaudière.

Willis Earl Beal
Le sans-abri. Du moins, c’est ce qu’était encore Willis Earl Beal il y a quelques années. Jusqu’à ce que sa musique, empreinte de blues, de pulsions, et de Tom Waits aussi, se fasse connaître. Le Ricain de Chicago a médusé les festivaliers samedi soir, sur la short scène de la Tour. Seul avec ses samples, le bonhomme libère son bon gros coffre. De belles suées, du bien beau postillon, à la limite du molard. De l’intensité surtout. Entre deux gorgées de Jack Daniel’s, Willis remonte ses sun glasses. Tapote sur sa chaînette suspendue au jean. Egorge à l’envi le micro. Ce mec vient d’ailleurs. Son physique l’atteste : à mi-chemin entre le Pelé du Mondial 1958 et le Carl Lewis des JO 1984. Oui, c’est ça, on était dans les années 1970 samedi. Et on y était bien, en fait.

Mark Lanegan
Stache-mou tombante, grosse casquette et mine patibulaire mais presque, Mark Lanegan a l’allure du redneck cabossé par la vie. Un côté un peu Tommy Lee Jones dans le sombre mais splendide film Trois Enterrements. Musicalement aussi, celui qui a un temps collaboré avec Queens Of The Stone Age et ancien leader des Screaming Trees donne dans le rock stoner du Midwest : sombre, envoutant, puissant, avec une voix grave très impressionnantes qui a certainement déclenché quelques orgasmes parmi le public de festivalières.

Breton
Le meilleur concert du samedi soir à notre humble avis. Haut la main. L’excellente impression que les Londoniens nous avaient laissé aux Trans et au Forum d’Art Rock est confirmée. En petite salle ou en configuration festival, les challenges sont relevés nickel par la bande à Roman Rappak, le sympathique chanteur francophone. On sent déjà une grosse maturité. Dans le style, disons que c’est du Foals en plus enthousiaste, moins torturé. Plus tôt dans la journée, on avait aussi vu les Anglais tourner leur clip. Action !

Le tournoi Foot Is Not Dead
Commençons par un point du règlement : crampons interdits sur Saint-Malo beach stadium. Chaussettes autorisées par contre. Et là, ça change tout. Et d’une, c’est THE classe. Et de deux, ça a le mérite de déstabiliser l’adversaire. Un adversaire qui, ceci étant, arbore de bien beaux maillots chourrés aux idoles d’antan. Genre Gérard Janvion ou Luc Sonor. Voilà le niveau vestimentaire du tournoi de foot de la RDR#22. Côté terrain : matchs de 8 minutes, pauses buvette de 18 minutes. Et poumons asphyxiés au bout de deux accélérations dans le sable sec. Au bout de l’insoutenable suspense, c’est l’équipe de la Route du Rock qui réussit à taper tout le monde. Et ce malgré un adversaire très attendu en finale : qui c’est les deuxièmes meilleurs ? Evidemment, c’est les Verts.

Cloud Nothings
Après Alt-J vendredi, après Savages samedi, c’est Cloud Nothings qui avait la responsabilité d’ouvrir l’ultime soirée de cette édition 2012. Soient trois excellents et attendus groupes en ouverture, dans des genres complètement différents. Ça a l’avantage de démarrer chaque fois de la meilleure des manières la série de concerts. Mais cette bizarrerie dans le line-up a aussi fait de nombreux frustrés, puisqu’ils sont encore nombreux à ce moment précoce de la soirée à traditionnellement prendre l’apéro au camping ou terminer de se dorer la pilule au soleil à Saint-Malo. Dommage donc qu’il y ait eu une assistance aussi clairsemée à assister au set bien énervé de Cloud Nothings, qu’on avait chroniqué dans le dernier Bikini. Sans se vanter, on avait vu juste : les teenagers ricains pratiquent un excellent grunge vintage avec un batteur à cheveux longs qui tape fort comme Dave, une basse bien lourde omniprésente comme celle de Krist et un chanteur à la voix délicieusement éraillée comme… vous avez compris. En point d’orgue du concert, une version de Wasted Days encore rallongée par rapport à la version de l’album, pour dépasser allègrement les 10 minutes de furie rock’n’roll. Une telle prestation donne envie de ressortir le BMX du grenier, de remplir l’Eastpak de Sunny Delight et de Milky Way et d’aller rejoindre les potos sur le terrain vague derrière le cinéma en plein-air.

Chromatics
Les quatre membres de Chromatics ressemblent à des personnages d’un roman de Bret Easton Ellis : des jeunes gens beaux et plein de noirceur. Mention spéciale pour la splendide chanteuse Ruth Radelet, aux immenses yeux tristes et au claviériste (et leader) Johnny Jewel, qui s’est carrément fait tatouer des larmes sur les joues. Bon donc on est clairement à des années lumières de la Fête des Moules programmée au même moment dans la localité voisine du Vivier-sur-Mer avec en guest le sosie de Patrick Sébastien. C’est une musique sombre et torturée que le combo de Portland nous propose, mélancolique mais pas déprimante pour autant, qui rappelle les plus belles heures de la new wave façon New Order, avec cette petite pointe de son disco eighties qu’on imaginerait kitch mais en fait non, du tout. De l’électro rock glacial qui fait terriblement de bien au sortir d’un week-end caniculaire, avec en prime une bonne reprise du chef d’œuvre de Neil Young Hey Hey My My. Top.

The Walkmen
Encore un bon set de rock avec les élégants new-yorkais de The Walkmen, qui rappellent un peu ce que font leur compatriotes The National, passés à Saint-Père il y a deux ans. Ce n’est pas très original mais c’est hyper calibré et classe.

On a vu

Patrick Watson
On avait déjà vu le Montréalais chez lui au festival de Jazz il y a quelques années devant un truc comme 50 000 de ses compatriotes, tous en amour pour l’un de leurs plus talentueux rejetons. Bon là du coup au Fort Saint-Père y avait pas forcément la même ferveur. C’est gentil, délicat, ben ben mignon, tout ça, mais il nous a plutôt ennuyé pour tout vous dire.

Civil Civic
Programmés sur la toute petite scène de la Tour, derrière la régie, le duo australien a un peu déçu. On s’attendait à un truc un peu festif, on a surtout entendu du noise torturé assez inaccessible.

Squarepusher
Après Aphex Twin l’an dernier, Squarepusher cette année. Tom Jenkinson – c’est son nom – est un gars ultra respecté dans le milieu électro et c’est vrai qu’il gère. « Dans le registre, j’aimerais voir Amon Tobin l’an prochain », nous souffle une copine. Ouais, pas con.

Lower Dens
Le programme de la Route du Rock annonçait un « petit bijou de pop bancale et anxieuse ». Pour le petit bijou ça se discute franchement, pour le côté casse-goule stressant, c’est plutôt très bien vu. Mouais, pas emballante cette affaire…

The XX
Avis partagés concernant la prestation des très attendus XX. Quand certains crient au génie, d’autres évoquent une heure à se faire chier devant un concert poseur et mollasson. Les deux parties débattent en fin de concert sans jamais réussir à s’attendre. Bon, nous on aurait tendance à se ranger du côté des déçus. Pourtant le potentiel est incontestablement là : les deux voix de Romy et Oliver sont parfaitement envoutantes et derrière, Jamie assure aux machines. Le talent est énorme, et c’est peut-être pour ça qu’on peut se permettre d’être exigeants et demander qu’ils se lâchent un peu plus. Qu’ils assument ce son unique qu’ils ont, froid, déprimé mais magnifique. Là on a encore l’impression d’avoir affaire à des post-ados encore trop complexés. Affirmez-vous, bordel !

Mazzy Star
« C’est un peu atmosphérique comme musique », dit mon voisin. « Stratosphérique plutôt », lui réponds-je. J’attendais qu’il réplique : « Troposphérique » ou « Kèstufèhérique ». Mais non. Il n’a rien dit. Il a regardé la scène. On ne voyait pas grand-chose. A part les ombres des six musiciens de Mazzy Star. Ah si, on apercevait derrière eux des images un rien énigmatiques qui défilaient. Un étang à la nuit tombée, des montagnes vieillottes, un gros plan de buissons. Bref, de quoi rendre l’ensemble encore plus indéchiffrable. Ceci étant, le côté planant du groupe américain en a séduit quelques-uns. Les autres étaient repartis à la buvette. Il y a des groupes comme ça, qui font du bien au chiffre d’affaires.

Bilan

Chaude ambiance dès vendredi à Fort-Saint-Père. Enfin, surtout dans le ciel. Cette 22e édition a été marquée par une grande absente : la flotte. Ni dans les nuages, ni dans les verres. Fidèle à ses habitudes, le public (étonnamment maigre malgré les conditions météo et la qualité de la prog, on parle d’environ 15 000 entrées sur 3 jours, 5000 de moins par rapport à la précédente édition, ouch !) n’a pas montré un grand grand enthousiasme, hein. Ici, pas de slameur au-dessus de la foule, pas de Bob l’Eponge qui s’envole. Ici, on écoute les groupes quasi religieusement. On dodeline de la tête quand la musique est bonne. Quand elle ne triche pas. Alors, pour amuser un peu la galerie, le team des « Gérard » avait sorti les étiquettes qu’on colle à la veste, comme un poisson d’Avril. On y lisait notamment : « Mes plottes Charlotte », « Casses-toi pour voir ? », « Je suis le meilleur spermatozoïde des couilles de mon père », « Je suis schizophrène, et moi aussi » ou encore « Je sens le chenil ». Ah sinon, le cours du houblon a sacrément augmenté à la RDR : 2,80 € le demi de Kro. La cuite est désormais un sport de riches.

Textes et photos : Bikini