Est-ce possible en 2015 de voyager pour que dalle ? Oui, nous ont confirmé des baroudeurs expérimentés. Transport, hébergement, bouffe… on a testé la chose.
A en croire ses adeptes, le tourisme collaboratif serait en passe de détrôner les vacances tradi faites d’autoroutes bien reuch, de campings 4 étoiles, de visites payantes et de glaces en terrasse, le tout pouvant vite niquer en quinze jours les économies d’une année. Le tourisme collaboratif, en gros, ça consiste à voyager par l’entraide pour dépenser le moins possible et à sortir des circuits classiques pour retrouver des réflexes de partage. Une expérience moitié crevard, moitié militant.
Prenez Nicolas Breton par exemple. Il y a deux ans, ce jeune homme de 27 ans a fait un tour du monde pendant quinze mois en claquant « 22 € par jour tout compris pour dix pays visités : Cambodge, Laos, Thaïlande, Inde, Zimbabwe, Argentine, Bolivie, Pérou, Brésil et Colombie. Faut avoir du temps et le goût de l’aventure pour s’adapter aux situations inconfortables, mais je suis la preuve que c’est possible de parcourir la planète sans trop dépenser et en vivant une expérience humaine inoubliable. »
Faire le tour du monde sans le moindre sou, c’est aussi ce qu’a expérimenté Benjamin Lesage (ci-dessus) avec deux copains entre 2010 et 2014. Des Pays-Bas au Mexique, en passant par le Maroc, le Brésil et la Colombie, cet ancien étudiant en com’ de 30 ans a parcouru une partie du globe en bannissant tout échange monétaire.
« La clé, c’est le partage. À défaut d’argent, on donne de notre temps et de notre énergie. Lorsqu’un voilier a accepté de nous transporter pendant trois semaines, on n’est pas resté glander : on aidait au nettoyage et on donnait des cours d’anglais aux enfants à bord. »
À ceux qui seraient tentés d’envoyer bouler patron et banquier pour devenir « routard professionnel » (sic), Benjamin émet tout de même quelques réserves. Et rappelle que voyage et vacances sont deux choses différentes. « Marcher, faire du stop, glaner de la bouffe, trouver un endroit où dormir : on peut pas dire que ce soit reposant. Il faut en avoir conscience avant de s’engager dans pareille aventure. »
« Allez bordel, la prochaine bagnole c’est la bonne »
On en a bien conscience. Et n’ayant de toute façon pas le temps pour aller visiter le temple d’Angkor ou le Machu Picchu, mais souhaitant quand même expérimenter la chose, on s’est fixé un objectif à notre portée : quitter la capitale bretonne pour deux jours, traverser la Bretagne d’est en ouest et filer à l’autre bout de la région avec seulement 10 € en poche chacun et une tente sur le dos. Crozon, on arrive !
Rennes, 9 h 37, au bord de la RN12. C’est ici que notre périple commence. Première étape visée : Morlaix. Matos : un carton, un marqueur noir et un sourire Colgate pour inspirer confiance. Une heure d’attente ponctuée par quelques moments pessimistes (« faudrait p’tet regarder les horaires de car, non ? »), de confiance exacerbée (« allez bordel, la prochaine bagnole c’est la bonne ») et de trollages de la part de conducteurs taquins (« le connard, il a fait exprès de mettre son clignotant sans s’arrêter ! »), avant que Ronan et J-B, deux Finistériens de 26 ans (ci-dessous), garent leur Scenic au bord de la route.
« On va à Brest. On vous dépose si vous voulez », nous proposent ces deux gaziers, étudiants experts-géomètres qui avouent avoir eux aussi déjà levé du pouce. « Quand les stoppeurs ont un panneau, je prends », informe Ronan, qui nous dépose peu après Morlaix sur la route de Quimper.
On n’y patiente que dix minutes avant qu’un couple de quadra nous récupère. Encore une Renault avec, accrochée au rétroviseur, une figurine de Titi et Grosminet. Dans l’autoradio, un best-of de Claude François (« BA-RRA-CU-DAAA ! ») nous accompagne jusqu’à notre descente à Châteaulin. Cette fois, c’est un fan de Booba et de Major Lazer qui nous embarque dans sa vieille Golf, direction la presqu’île de Crozon à fond les ballons, avec des pointes à 130 km /h sur une route à 90. Un bel hommage à Paul Walker.
Nous voici donc arrivés à destination à 15 h 15. Cinq heures et demie auront été nécessaires : satisfaisant, d’autant qu’on n’a encore rien déboursé. Ce sera fait le temps d’une courte aprem “loisirs” : visite de Serge le Lama, de passage dans le coin avec un cirque (2 €), et apéro à la sortie du Lidl (chips et canettes de bière 50 cl, 0,59 € l’unité).
À 18 h 30, nous voici repartis en quête d’un lieu où poser la tente. On avait repéré sur le site Gamping (mix de garden et de camping) un terrain à 7 € la nuit. Une sorte d’AirBnB du jardin. Lancée en 2014, la plateforme Owlcamp propose même quant à elle la possibilité de bénéficier d’un terrain gratos. « Les hôtes peuvent mettre leur pelouse à disposition de trois façons : gracieusement, en échange d’un service (nettoyage ou jardinage par exemple) ou d’une petite compensation financière, explique Émeline Foissey, cofondatrice. Comme tout projet collaboratif, ce sont les rencontres et le partage qui sont au cœur des motivations. » Sauf que le numéro chopé sur le Net sonne dans le vide. Les aléas du séjour à l’arrache…
« P’tet moyen de squatter la cabine d’un bateau ? »
19 h 30, on pose notre cul au centre nautique de Morgat, un petit port qui touche Crozon, avec le ventre qui commence à gargouiller (« il reste des chips ? ») et le doute qui s’installe (« P’tet moyen de squatter la cabine d’un bateau ? »). Si l’option camping sauvage fait son chemin, on se décide à tenter notre chance chez l’habitant. Coup de bol, la première maison où l’on toque est la bonne. « Bonsoir, est-ce qu’on pourrait poser notre tente dans votre jardin pour la nuit ? – Bien sûr, pas de souci. » Yepaaaa. Les gentils hôtes se nomment Jean-Michel et Sabine, couple de Parisiens venus avec leurs enfants en vacances dans leur maison secondaire.
Sur nos 20 € de budget, seuls 6,09 € ont été dépensés jusqu’à présent. De quoi se permettre une crêperie pour le soir. Au menu : une galette jambon et une crêpe sucre. « Avec une carafe d’eau », soyons fous. Addition pour deux personnes : 11 €. Le lendemain, Sabine et Jean-Mich’ nous offrent le p’tit dej et leur salle de bain (dans le cas contraire, on avait repéré un bon plan au centre nautique : 2 € la douche). « L’an passé, deux jeunes filles en vadrouille nous avaient déjà demandé si elles pouvaient dormir dans le jardin », nous racontent-ils entre deux pains au lait.
« Mate la voiture, elle freine ! Wééééé »
Le voyage retour s’effectue encore plus rapidement que l’aller, grâce à un relais que Patrick Montel pourrait juger de techniquement parfait : une babos en camtar, puis un retraité plaisancier, un ouvrier (« je devrais pas vous prendre dans le camion, mais pour quelques kilomètres y’a pas de souci ») et, enfin, un jeune couple de Franciliens qui nous dépose au pied de la rocade rennaise dans un finish digne de Marc Raquil. Mission accomplie, avec même encore quelques pièces à traîner dans le fond de nos poches.
Notre modeste expérience nous aura permis de constater qu’il y a bien moyen de voyager sans thune. Dans la colonne des plus, ce petit périple nous aura offert un inattendu dépaysement, au sens où un tel mode de voyage permet de vite sortir de son train-train. C’est aussi assez excitant de ne rien planifier et chaque petit événement se vit comme une victoire (« Mate la voiture, elle freine ! Wéééééé. » « Une pelouse sans bosse ! Trop cool. »). Dans la colonne des moins, faut reconnaître que ce n’est pas le périple le plus reposant qu’il nous ait été donné de vivre. Et passer plusieurs semaines, voire plus, à ce rythme doit être bien crevant.
Rejoindre une destination sans argent, en commençant le voyage à oilpé sur le bord d’une route, c’est le concept de l’émission Nus & Culottés (ci-dessus), dont la saison 3 sera diffusée cet été sur France 5. Elle s’inscrit dans la lignée de la série à succès d’Antoine de Maximy J’irai dormir chez vous. Depuis l’été 2012 donc, Nans (le brun) et Mouts (le blond), deux anciens étudiants ingénieurs, nous font partager leurs aventures. Elles consistent à se démerder pour trouver de quoi s’habiller et accomplir la mission qu’ils se sont fixée : faire du parapente en Corse, grimper au sommet d’un pic alpin, rencon-trer un druide en Bretagne…
S’ils ont déjà pas mal bourlingué (Mouts a par exemple passé trois années en Amérique du Nord à voyager en stop et à dormir chez l’habitant), les deux garçons souhaitaient explorer leur pays d’une nouvelle façon. « Partir, mais chez nous. Sans sac ni argent, juste avec notre bite et notre couteau. Il n’y a pas qu’à l’étranger qu’on peut avoir ce sentiment de dépaysement. On peut être libre tout en étant au fin fond de la Haute-Marne », explique Mouts.
« Redonner foi en l’Homme »
Chaque numéro de Nus & Culottés est surtout un prétexte aux rencontres. « Le voyage est un magnifique terreau pour découvrir des gens à qui tu n’aurais jamais parlé autrement », estime Nans. Son compère poursuit : « C’est aussi une façon de montrer qu’il y a des gens sympa, chaleureux et accueillants en France, ce qu’on a parfois tendance à oublier… »
C’est d’ailleurs sur ce point que porte la plupart des retours qu’ils reçoivent. « Beaucoup nous ont dit que cela leur avait redonné foi en l’Homme. On pense que c’est ce qui motive la plupart de ceux qui souhaitent voyager autrement : tous sont en quête d’empathie et ont soif de retrouver confiance en l’autre. »
Des baroudeurs anonymes aux zigotos de France 5, les voyages alternatifs attirent un nombre croissant de prétendants. Un phénomène qui n’étonne pas non plus Benjamin Lesage. « Nous sommes nombreux dans le monde occidental à nous rendre compte que la richesse provient également du partage. Je ne suis pas là pour remettre en cause le système : juste le corriger, le faire évoluer dans une direction plus humaine. » Même si Nans préfère prévenir les casse-cou trop ambitieux : « L’aventure, c’est la découverte passionnée de l’inconnu. Mais il faut savoir respecter sa “zone de confort” et y aller progressivement. »
En clair, avant de tenter le road-trip sans argent au cœur de l’Asie, commencez par un week-end pas trop loin de chez vous en stop et couchsurfing. Ça sera déjà pas mal. Et si vous choisissez Crozon, passez le bonjour à Sabine et Jean-Mich’ de notre part.
Régis Delanoë et Julien Marchand
Photos : Bikini et DR
Paru dans BIKINI #22
Ces voyageurs tapent-ils l’incruste ?
En regardant les aventures d’Antoine de Maximy dans J’irai dormir chez vous (photo) ou celles de Nans et Mouts dans Nus & Culottés, n’avez-vous jamais eu le sentiment qu’ils avaient une certaine tendance à s’inviter chez les gens ? Voire même parfois à leur forcer un peu la main pour squatter leur canap’ ou taper dans leur frigo ?
Voyager (volontairement) sans argent, alors qu’on a en réalité les moyens, peut dérouter. Ces vagabonds intérimaires ne profiteraient-ils pas de la gentillesse et de l’hospitalité de personnes parfois plus modestes qu’eux ? Benjamin Lesage, qui a baroudé trois années sans un sou, reconnaît s’être pas mal interrogé sur cette situation. « J’étais assez mal à l’aise au début à l’idée d’aller vers les gens et de “mendier”. On vit quand même dans une société qui prône l’indépendance et où les préjugés sont nombreux sur les personnes qui bénéficient d’aides. »
Pour Mouts, également conscient de cette problématique, « il apparaît important de trouver un bon équilibre entre recevoir et donner. Même si les gens t’offrent les choses de bon cœur, ce n’est pas agréable d’être tout le temps en bout de chaîne. Il faut en devenir l’un des maillons et être, à un moment, en capacité de rendre. Mais pas forcément de l’argent ou un bien matériel : ça peut être du temps, de l’écoute, un coup de main… »